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http://polaroid41.com/andre/

Mardi 1er juin 2021, 23h26.

Je pense que j’ai assez de doigts sur une seule main pour comptabiliser nos rencontres.

La première fois c’est le bruit du moteur de son tracteur qui m’a poussé à grimper à flanc de montagne derrière notre maison de vacances.

Il y faisait les foins, seul. Je l’ai salué de la main, il m’a timidement répondu tout en continuant ce qu’il avait à faire. Je suis resté planté là, au bord du chemin, à le regarder travailler. Quand il a eu terminé les andains je lui ai demandé s’il avait besoin d’aide pour la suite des opérations, il m’a répondu que non. Je suis à nouveau resté là, sur le talus, à attendre. Une heure plus tard, on chargeait la première remorque de foin ensemble. Il n’avait pas besoin de moi, mais puisque j’avais l’air de vouloir, et surtout de savoir faire…  Il faisait partie de ces paysans qu’on apprivoise, comme le raconte si bien Raymond Depardon dans Profils Paysans : montrer patte blanche, gagner leur confiance, être capable de travailler avec eux, comme eux, sans jamais se montrer intrusif. A la fin de la journée, on a bu une bière fraîche et échangé trois mots, juste l’essentiel. Il s’appelait André. André Gayou. Le foin qu’on venait de rentrer serait vendu aux propriétaires de chevaux, dans le hameau d’à côté. Il habitait à Buillac depuis toujours. Quant à moi j’étais là pour quinze jours. Ma fille (unique à l’époque) avait sept mois, et la famille de ma chérie avait l’habitude de louer une ancienne bergerie dans le village, on perpétuait la tradition. On s’est quitté comme on s’était rencontré quelques heures plus tôt, un peu vite, sans rien se promettre.

Le lendemain après-midi, André klaxonnait sur son tracteur devant la maison pour que je grimpe sur la remorque. Un autre chargement de foin nous attendait plus loin. On a fait équipe comme ça pendant toute la durée de mon séjour. Le soir il me rétribuait en salades et en framboises que j’étais fier de ramener au gîte pour le dîner.

L’année suivante, je me suis présenté à sa porte dès mon arrivée pour qu’il sache que j’étais de retour. Mon séjour « coupe de bois de chauffage » pouvait commencer. André venait de se voir attribuer un lot de neuf arbres, des hêtres, qu’il fallait abattre et débiter.

— La lune est descendante, m’a-t-il dit, c’est le moment idéal pour aller chercher ces arbres. Ils sont au fond d’un ravin, ils mesurent jusqu’à 30 mètres de haut, ça risque de ne pas être facile. Mon ami Serge arrive avec son treuil, on ne sera pas trop de trois.

Je faisais donc partie de l’équipe d’André. Cet été là, il m’en a dit un peu plus sur sa vie. Quand il était jeune, il était supposé reprendre la ferme, mais l’épidémie de brucellose en avait décidé autrement au début des années 60. Le petit troupeau familial est tombé malade et le moral du père avec. On l’a encouragé à se trouver un métier ailleurs alors il est rentré à l’équipement, comme il dit.

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Polaroid intégral (photo, texte et audio) disponible sur : http://polaroid41.com/andre/