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Lundi 7 juin 2021, 23h13.
Elles sont six. Six femmes assises en face de moi, toutes des intervenantes auprès d’enfants à domicile. Autrement dit des nounous qui exercent leur activité chez les parents dont elles bichonnent la progéniture. En tant que comédien, on m’a demandé d’intervenir, avec une psychologue, dans le cadre d'une formation intitulée "Ajuster sa communication et sa relation à l'autre". Il s’agit d’aborder avec elles les situations de communication complexes et la gestion des conflits. Normalement je refuse ce genre de mission, mais la directrice de la structure est une amie, et j’aime bien faire plaisir aux amis.
Dans la majorité des cas, les intervenantes ont de bons rapports avec leurs employeurs. Il apparaît néanmoins qu'un des écueils de leur métier, c'est que certains parents les sollicitent pour des tâches qui n'ont rien à voir avec le développement et le bien-être de leur enfant, mais plutôt pour des tâches ménagères. Le côté obscur de l'employeur : puisque l'intervenante est chez lui, et qu'il la paye pour ça, autant qu'elle lui fasse le ménage et la cuisine. Vous n’allez pas me faire croire qu'elle s'occupe du rejeton 24 heures sur 24 ! Et voilà notre situation de communication complexe... Comment expliquer aux parents avec tact, délicatesse et surtout sans s’énerver en présence de l'enfant, que les tâches demandées de manière plus ou moins insidieuse ne font pas partie de leurs attributions d'intervenante ?
Avec le bon sens paysan qui me caractérise, je fais d'emblée remarquer à ces femmes que, selon moi, elles font un métier remarquable. Elles s'occupent d'enfants dont les parents sont absents, accaparés pour la plupart par de belles carrières, et sont d'autant plus méritantes qu'elles exercent chez l'employeur. La communication a toutes les chances d'être complexe. Comment réclamer le paiement d'heures supplémentaires, ou pire, refuser de préparer le repas familial quand elles vivent littéralement chez leurs patrons ? Elles sont en train de donner le bain à l’enfant quand monsieur rentre le soir et madame a le tutoiement facile. Bref, on fait quelques mises en situation, on improvise. A ma grande surprise toutes les intervenantes jouent le jeu. On travaille évidemment sur des situations extrêmes, des stéréotypes. Elles jouent le parent agressif ou totalement démissionnaire, elles jouent la victime, elles jouent le chantage affectif.
Une de ces femmes versera une larme et se fera la promesse de ne plus se laisser maltraiter psychologiquement par son employeur. Une autre se souviendra avoir été humiliée parce qu’accusée d’un vol qu’elle n’avait pas commis. Elles sont sincères, authentiques, généreuses.
Une bien belle journée à l’issue de laquelle on se remercie mutuellement : elles d’avoir parlé, moi d’avoir écouté. On a ri et pleuré ensemble : c’est tout ce que j’aime.
En fin d'après-midi, la psychologue et moi revenons sur la journée passée dans le bureau de la directrice. Je fais part de mon émotion à cette dernière, de ma sensation d’avoir échangé avec sincérité avec ces femmes. Au moment de partir, la psychologue me lance par-dessus son épaule :
— C’était évident que ça fonctionnerait, tu as d’emblée humanisé le rapport…
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