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Mardi 20 Octobre 2020, 17h59.
Sur scène, et dans mon potager. Voilà en général ce que je réponds quand on me demande l’endroit où je sens le mieux. Le jardin, comme disent les anciens, parce que c’est viscéral, c’est comme ça, non-négociable. Je suis petit fils et neveu de paysan. J’aime la terre. La sentir, la fouler, la travailler, planter, récolter, observer, tenter de comprendre, de maîtriser un peu le processus. La terre parce qu’on se retrouve face à soi-même. Le corps est en action et les pensées défilent, ou pas. On fait alors le vide. On est seul. On s’entend respirer, râler contre un parasite qui détruit tel ou tel légume, on s’entend même se réjouir parfois. Une belle récolte, un beau panier de légumes, le jardinier est fier, même s’il joue les modestes. Cultiver n’est pas mon métier mais c’est essentiel à mon équilibre je crois. Julia, qui partage ma vie depuis quinze ans, a coutume de dire que j’ai les pieds dans la terre et la tête dans les étoiles.
Les étoiles c’est la scène. Mon métier pour le coup. J’ai très tôt compris que je voulais être musicien, batteur pour être précis. J’ai gagné ma vie pendant quinze ans grâce à cet instrument. J’ai fait des rencontres magnifiques, j’ai joué dans plusieurs styles, j’avais le bagage théorique pour ça, les choses paraissaient logiques. Je n’ai malgré tout pas réussi à m’épanouir totalement. J’ai même fini par me sentir à l’étroit dans la musique, telle que je la faisais et la vivais. Je me souviens très précisément du jour où j’ai dit à voix haute “Je crois que j’aime encore plus la scène que la musique”. J’étais au volant de mon vieux break Volvo, je roulais sur l’autoroute au petit matin pour rentrer au bercail après un concert et je discutais avec une amie chanteuse assise sur le siège passager. Elle pensait me maintenir éveillé en me parlant mais à ce moment précis c’était contre sa propre envie de fermer les yeux qu'elle luttait. Et je me suis entendu dire pour la première fois que j’aimais la scène. Plus que la musique, la scène. Et pourquoi ne pas imaginer faire de la scène autrement qu’en tant que musicien. La graine était semée.
Mon premier solo en tant que comédien maladroit totalement débutant a vu le jour deux ans après cette discussion. J’avais trouvé. Faire du théâtre me procure aujourd’hui des émotions puissantes et j’ai bien peur d’être devenu dépendant. Il m’aura fallu vivre un confinement imposé de deux mois pour m’en rendre compte. Je ne vivais plus qu’à moitié. J’avais beau m’occuper de la maison, de mes trois filles et fuguer à la première occasion dans le potager à l’entrée du village, je ne vivais plus qu’au ralenti. J’étais triste ou en colère, rarement serein. Par un curieux hasard, même le jardin cette année fait grise mine. La récolte est quasi inexistante. Ma tête n’est plus dans les étoiles et mes pieds plus vraiment dans la terre. Je flotte sans amarres…
Et puis les représentations reprennent le 12 Septembre. Bonheur. On fait la route pour aller jouer loin de chez nous, le public est au rendez-vous malgré l’atmosphère anxiogène. Le Covid est partout. Les gens sont masqués, on est privés de leurs sourires mais ils sont bel et bien là. Les spectateurs sont émus et émouvants. Je me souviens de cette spectatrice à Bonchamps-les-Laval qui nous a dit à la fin du spectacle. “Merci de nous permettre de reprendre une vie sociale et culturelle”. Sa voix tremblait, la mienne aussi quand je l’ai remerciée en retour d’être venue ce soir-là. Le Covid est partout, l’émotion aussi. On assiste à de vraies retrouvailles. On joue les pudiques mais on est vraiment heureux de se retrouver dans une salle de spectacle.
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