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Mardi 20 Avril 2021, 15h34.
Au départ je ne les avais pas remarquées. Et puis un beau jour, elles sont devenues visibles, plantées là au beau milieu du parking technique de la société d’autoroute. On avait entrepris de tailler les haies, d’élaguer les arbres et voilà qu’apparaissaient deux vieilles cabines de péages déglinguées tout droit sorties des ronces et du passé. J’avais pris l’habitude en empruntant le péage automatique de jeter un coup d’œil de l’autre côté de la rambarde pour vérifier qu’elles étaient toujours là et leur adresser une sorte de bonjour amical. Je ne sais pas vraiment dire pourquoi mais j’ai de la tendresse pour ces cabines. J’ai surtout la nostalgie de l’époque où je roulais la nuit et où la cabine éclairée renfermant son être humain venait ponctuer mes interminables trajets. Je passais les péages à des heures impossibles, cinq heures, six heures du matin, et le receveur ou la receveuse était là, quelle que soit l’heure ou la météo. Je ne suis pas passé une seule fois sans me demander ce que pouvait bien faire cette personne dans sa cabine à ce moment-là. Souvent elle lisait, mais quoi ? A quoi pensait-elle ? S’ennuyait-elle ? Était-elle heureuse de faire ce travail ? L’avait-elle choisi ? Lorsque les premières caisses automatiques sont apparues j’ai continué à prendre la file qui menait à la cabine avec humain, plutôt que sans. Un geste désespéré sans doute mais je pensais ainsi freiner l’expansion des machines : peine perdue… Les cabines et leurs hôtes ont bien vite disparu au profit des caisses automatiques. Le progrès, j’imagine…
Alors l’autre jour, dans un élan d’audace, je décide de m’arrêter à la gare de péage devant laquelle je passe quasiment tous les jours. Je me dirige vers l’accueil public. Un monsieur devant moi venait changer son badge qui ne fonctionnait plus. Je pense que la majorité des usagers qui viennent ici le font pour des questions de badges et d’abonnement. J’attends patiemment mon tour, ma demande est un peu spéciale :
— Bonjour madame, je voulais savoir s’il était possible que j’aille voir les cabines de péage qui sont là-bas, derrière ?
— Pour quoi faire ?
— Je suis comédien, j’envisage d’écrire quelque chose sur les receveurs de péages d’avant, dans leur cabine.
La dame se met aussitôt à sourire et prend son téléphone :
— Oui, c’est Claudine à l’accueil… Dis, j’ai un monsieur là devant moi qui voudrait voir les cabines qui sont sur le parking derrière… Il travaille sur les receveurs de péage… Il le sait, j’imagine, que ça n’existe plus (elle m’adresse un sourire)… Oui… Je te l’envoie ? … Ok… Évidemment, il n’a pas le droit, évidemment on ne l’a pas vu ni toi, ni moi. (nouveau sourire)
A moi :
— Vous sortez, vous longez le bâtiment, vous allez tomber dessus, Jacques est au courant mais faites vite c’est strictement interdit.
Je la remercie et sors vite de l’accueil. Pas très rassuré, je longe le bâtiment. Plaisantait-elle ou pas ?
...
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