http://polaroid41.com/rouille/
Lundi 7 décembre 2020, 10h35.
Samedi matin difficile. Manque de sommeil causé par une vilaine toux depuis presque une semaine, foutue pharyngite. Me voilà quasiment aphone pour le petit déjeuner familial. Pour une fois, seulement quatre membres de la famille vont parler en même temps, je déclare forfait. Mon café bu, je quitte la table et son brouhaha pour m’asseoir devant l’ordinateur du salon. Je ne fais jamais ça. Un hyperactif qui commence sa journée assis est un homme perdu. Bref, je clique machinalement sur Firefox et décide de me promener sur internet sans but précis. Mais on ne se refait pas, au bout d’une minute trente chrono, je suis en train de regarder des types restaurer des vieux tracteurs comme le mien. Bonheur. Ça parle fort dans la cuisine à côté alors je décide de mettre mes écouteurs sur les oreilles pour m’isoler un peu plus. Je m’efface provisoirement de la famille. Absent pour le moment, veuillez laisser un message après le bip sonore. D’occurrence en occurrence, de lien en lien, je finis par atterrir sur des sites où des types ne restaurent même pas les tracteurs mais s’imposent comme défi unique de redémarrer des engins enfouis dans les ronces depuis des années, voire des décennies. Sans que je décide vraiment quoi que ce soit, les algorithmes faisant leur office, je me retrouve bien vite à l’étranger, aux States pour tout dire. Apparemment là-bas, cette activité est une véritable religion. Des chaînes Youtube leurs sont dédiées et la réalisation laisse à penser qu’on ne plaisante pas avec ça. « Will it start ? » ou « Will it run ? » autrement dit : « Va-t-il démarrer ? » Après 8, 15, 20, 40 ans à l’abandon? Et me voilà parti pour sillonner la campagne américaine avec des autochtones aussi gros que leur pick-up. On atterrit devant un tas de ronces, un marais, ou une ferme abandonnée d’Hopkins, le propriétaire nous a contactés, une épave nous y attend. Un morceau de calandre surgit des buissons, c’est un John Deere évidemment, un Massey Fergusson, un David Brown, un Minneapolis-Moline, etc… L’engin est dévoré par la végétation, pour l’un d’eux un arbre a carrément poussé entre la roue arrière et le châssis. Le moteur est recouvert de lichen, un essaim d’abeille tient lieu de filtre à air, les pneus sont complètement à plat et les clefs absentes, sinon ce n’est pas drôle. Hank, Steve ou Josh s’activent. Ils dégainent leurs outils et s’agenouillent au chevet de la bête, peut-être qu’il n’est pas trop tard. Mes notions de mécanique sont très sommaires et je les regarde faire avec une excitation qui me surprend moi-même. Je saisis le sens des opérations de base : une batterie neuve pour espérer animer le démarreur, un circuit gasoil propre, du réservoir aux injecteurs, du gasoil, de l’huile dans le moteur et de l’eau dans le radiateur. Jusque là ok. Après j’observe, sans comprendre grande chose, mais j’admire. Aucun doute là-dessus. Arrive le moment fatidique où mon partenaire yankee du moment saisit le premier outil en métal qu’il a sous la main et le place entre les bornes du démarreur pour faire contact. Une étincelle jaillit, c’est bon signe. Le démarreur commence à se faire entendre. Le ventilateur fait un tour ou deux, le moteur aussi. Pause. On se regarde. Hank défie la caméra « Il va démarrer. Je le sens. C’est un bon tracteur , un modèle de 58. Il va démarrer ».
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