http://polaroid41.com/trajectoires/
Lundi 10 Mai 2021, 9h55.
Les deux informations se télescopent, c’est souvent le cas. Aucun parallèle à établir bien sûr, ni d’opposition. C’est la règle du bulletin d’information, c’est tout. Les sujets sont traités les uns après les autres et se retrouvent rangés les uns à côté des autres, comme des œufs dans leur boîte. Je suis peut-être plus à l’écoute que d’habitude, ou plus sensible aux nouvelles du monde ces temps-ci. A la radio, en quelques minutes seulement, deux destins vont se croiser. Deux hommes d’une quarantaine d’années. On commence tout d’abord par la trajectoire sans accroc d’un astronaute hors pair. Fabuleux Thomas Pesquet qui fait rêver l’humanité. Le type est grand, beau, souriant, et d’une simplicité désarmante. A quarante-trois ans, il est commandant de bord de l’ISS, la station spatiale internationale. Il parle six langues, il joue du saxophone, il est passionné de judo, de basket et pratique la photographie en amateur. Il vient même d’être nommé ambassadeur de bonne volonté de l’organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture. J’aime tout ce que représente ce type. C’est simple, j’adorerais l’avoir comme ami. Quel bonheur de le voir pénétrer dans l’ISS et serrer dans ses bras ses collègues. Et oui, ironie de l’époque, pour voir des humains se comporter normalement les uns avec les autres et s’embrasser comme du bon pain, il nous faut aujourd’hui lever les yeux vers le ciel. Elle est là-haut notre regrettée vie d’avant. 408 kilomètres direction les étoiles, qu’il l’eut cru… Alors on vit cette aventure incroyable de la conquête spatiale par procuration. On est tous un peu Thomas l’astronaute. On rêve et ça nous fait un bien fou. Il va réaliser un nombre incroyable d’expériences scientifiques à bord de l’ISS. La recherche avance, l’humanité est en marche. On va de prouesse technologique en prouesse technologique et c’est Thomas notre ambassadeur. Que ta route soit belle et aussi longue que possible, l’ami. On sera là pour prendre de tes nouvelles à intervalles réguliers. On saura qu’on a vieilli en regardant les premières rides se creuser sur ton visage de héros, ça sera moins douloureux du coup. Merci pour ça et pour tout le reste. Le temps du reportage, j’ai quitté la terre, j’étais plus léger, comme en apesanteur.
C’est maintenant au tour de Mukesh Kashyap, depuis New Dehli, de raconter son histoire. Il nous est rapidement décrit comme un homme fatigué, les yeux rougis dans sa combinaison bleue. Il a une quarantaine d’année lui aussi, et porte dans ses bras le corps de sa femme. Elle vient de décéder du Covid-19 et doit être incinérée le plus rapidement possible. Elle avait trente-huit ans. Il nous explique qu’il n’a pas réussi à trouver de l’oxygène pour la sauver. Ils ont fait le tour des grands hôpitaux privés mais sans succès. C’est finalement dans un petit hôpital qu’elle aura pu bénéficier d’une heure d’oxygène moyennant cinquante cinq euros.
"Quand ma femme en prenait, elle allait bien, mais après, c’est revenu. On essayait de trouver un lit pour elle, mais elle s’est effondrée dans le triporteur. Les docteurs n’ont pas pu la sauver", nous confie Mukesh au micro de France Info.
Alors il apporte lui-même la dépouille de sa femme dans un immense crématorium à ciel ouvert au sud de New Delhi. Il fait ce qui doit être fait, avec une dignité qui force le respect. En quinze jours, le nombre de morts du Covid dans cette capitale frôle les 4000. On vient d’installer cinquante bûchers de fortune sur la pelouse à l’extérieur du crématorium pour faire face à l’affluence de corps. La pénurie de bois commence à poindre. Mukesh espère simplement bénéficier d’un bûcher comme ceux-là, son ultime cadeau fait à sa femme. On est là en présence d’une humanité bouleversante de détresse contenue.
...
Polaroid intégral (photo, texte et audio) disponible sur : http://polaroid41.com/trajectoires/