http://polaroid41.com/un-lundi/
Mardi 13 Avril 2021, 9h22.
La journée commençait mal. Au bout d’une heure et demie passée devant mon écran hier matin, toujours pas de texte écrit, pas le moindre polaroid en vue. La pression montait gentiment. Et si je n’avais plus rien à dire ? Et si tout ça n’était finalement qu’une perte de temps ? C’est déjà très compliqué pour l’hyperactif que je suis de rester assis à son bureau, alors quand en plus je ne produis rien, ma bonne humeur naturelle s’enfuit en courant pour être aussitôt remplacée par mon angoisse, naturelle elle-aussi. Hier donc, dès dix heures et demie j’errai dans la maison avec mon cafard en laisse comme d’autres promènent leur chien. J’interpelle ma chérie :
— « Ju, j’ai rien écrit. Je suis vide. J’ai rien à raconter. En même temps j’ai plus de vie sociale alors forcément…
Elle :
— Mais non, laisse venir. Accepte qu’il n’y ait rien pour l’instant. Il y aura un polaroid demain j’en suis certaine mon petit angoissé ».
J’ai failli lui répondre que je n’étais pas angoissé mais je n’ai jamais su mentir. Je suis descendu dans mon studio sous la maison, mon sous-marin, et j’ai répété mes exercices de piano pour mon prochain cours. Il fallait que je fasse quelque chose. Et j’étais bien, là, dans mon refuge. J’ai toujours aimé répéter dans ma vie. J’ai adoré apprendre un instrument, le dompter autant que possible. J’ai passé des heures et des heures à jouer de la batterie de mes huit ans à mes trente-six ans. J’ai gagné ma vie pendant quinze ans grâce à la musique. Je ne suis et ne serai jamais qu’un pianiste débutant, balbutiant même, mais j’aime découvrir cet instrument. Les sensations de la répétition instrumentale me sont familières. J’ai joué mes exercices et répété mes deux morceaux. J’étais bien. De retour à l’étage je jetai un coup d’œil machinal à l’horloge :
—« Pfff… Incroyable…
Julia, encore elle, elle est en vacances cette semaine et sait parfaitement interpréter mes « pfff… » désespérés :
— Qu’est ce qui se passe ?
— Ben il est déjà onze heures et demie, je viens de perdre encore une heure !
— Tu ne l’as pas perdue puisque tu as joué du piano ».
La synthèse n’est pas son point fort d’habitude, mais sur ce coup-là rien à dire. Elle avait raison. Elle pointait là quelque chose d’important, d’essentiel. Je venais de jouer du piano, j’avais retrouvé les sensations agréables de la pratique d’un instrument, j’avais vécu un bon moment et une fois revenu à l’étage les premiers mots qui m’étaient venus pour le qualifier étaient « J’ai perdu une heure ». Le temps de monter les quelques marches qui conduisent à la cuisine, l’agréable s’était transformé en douloureux. On a un problème là, Docteur Freud…
Moi, qui suis bien placé pour savoir ce que représente l’apprentissage d’un instrument, j’ose le qualifier de perte de temps. J’ai enseigné la batterie ! Damned… On a coutume de dire que notre pire ennemi c’est nous-même : c’est confirmé. J’ai donc passé le restant de la journée à « perdre mon temps », à réfléchir à pourquoi je m’infligeais ça. Comment j’en étais arrivé là ?
...
Polaroid intégral (photo, texte et audio) disponible sur : http://polaroid41.com/un-lundi/