⚠️ Je SPOILE l’unitaire entier pour mieux l’analyser. L’épisode s’adresse donc à celleux (oui on passe à l’écriture inclusive) qui ont déjà vu Meurtres à Douai ou qui ne comptent pas le voir ⚠️.
Synopsis
Dans une église de Douai, le corps d’un homme est retrouvé dans le confessionnal, mis en scène de manière à rappeler les procès de l’Inquisition ayant marqué la région au XVe siècle. Pour résoudre ce crime énigmatique, la commandante Clara Baudran (Sonia Rolland), de retour dans le Nord, est contrainte de faire équipe avec Jérôme Santerre (Nicolas Bridet), un amour de jeunesse qu’elle croyait devenu prêtre, il est aujourd’hui policier et père d’un adolescent.
🎬 Fiche technique
Téléfilm unitaire de 90 minutes, diffusé le samedi 6 septembre 2025 à 21h10 sur France 3 (et disponible en replay sur France.tv).
* Production : L’unitaire est produit par Box Fish Productions (aussi derrière le court-métrage Camping Sauvage et le documentaire Wonder Boy), en coproduction avec France Télévisions.
* Scénario : Céline Decoox (Astrid et Raphaëlle, Tropiques Criminels, Camping Paradis…) et Adeline Laffitte (Tandem, Camping Paradis, Tom & Lola…)
* Réalisation : Pascale Guerre (ITC, Cassandre, Tropiques Criminels…).
🎠Avec : Sonia Rolland (Ancienne Miss France des années 2000, actrice sur Tropiques criminels, Midnight in Paris) dans le rôle de Clara Baudran, Nicolas Bridet (Tu seras mon fils, Je vais bien, ne t’en fais pas) dans le rôle de Jérôme Santerre, Arièle Sémenoff (Les Visiteurs, Les Tuche) dans le rôle d’Eliane Baudran, Aziz Aboudrar (Visitors, Engrenages) dans le rôle de Sofiane Halimi, Gavril Dartevelle dans le rôle de Marceau Santerre, Hanaé Rollier-Bertetti dans le rôle de Joséphine, Alice Favreul dans le rôle d’Alizée et Sarah Denys dans le rôle de Juliette Poquin.
📍 Tournage : principalement à Douai, cité de Gayant mais aussi à Roubaix, Tournai, Lille, Lambersart et Armentières entre le 14 octobre -12 novembre 2024.
🎶 Musique originale : Maïdi Roth
🎯Audiences : Meurtres à Douai a largement dominé la soirée du samedi 6 septembre 2025 sur France 3, en réunissant environ 4,17 millions de téléspectateurs, soit une part d’audience de 25,2 %. Meurtres à Douai se situe dans la moyenne haute de la collection : certains épisodes récents comme Meurtres à Honfleur en 2025 (4,52 millions) ou Meurtres à Amiens en 2022 (4,5 millions) ont fait un peu mieux, mais beaucoup d’autres unitaires oscillent plutôt entre 3,5 et 4 millions de téléspectateurs.
🔎 Analyse
Thématique
La thématique que j’ai trouvé est la suivante : jusqu’où le passé, qu’il soit historique ou personnel, façonne-t-il le présent ? L’unitaire mélange mémoire locale (Inquisition, beffroi, carillons) et histoire contemporaines (harcèlement, revenge porn, écoute institutionnelle défaillante). Il interroge la chaîne des responsabilités. Pas seulement qui tue, mais qui n’a rien fait/est resté inactif au lieu d’aider la victime.
Moteur narratif
Comme tous les “Meurtres à ” il s’agit d’un procédural à ancrage patrimonial.
* Ici, chaque piste renvoie à un élément de Douai (rites, légendes, lieux).
* Tandis que le duo Clara/Jérôme sert d’accélérateur émotionnel:
* Anciens amants : ils sortaient ensemble à la fac et du jour au lendemain, Jérôme l’a quittée sans rien lui dire, parti au séminaire pour devenir prêtre en entrant dans les ordres. Elle a très mal vécu cette période et a été harcelée à la fac à cause de cela, ce qui l’a poussée à partir vivre à La Réunion.
* Seconde chance/le pardon…: Lorsque Clara a été harcelée, personne n’a rien fait, ni Jérôme qui ne savait rien de son mal-être, ni leurs amis communs, ni l’établissement, ni la police. Jérôme lui demande pardon, ainsi que les amis qu’elle n’a pas vu depuis qu’elle était partie.
* Le fil rouge, c’est la liste écrite de noms, retrouvée dans la main de la première victime Nicolas (Nicolas - prof au collège n’ayant pas écouté la détresse d’une ado (Eva) / Stéphane - le médecin qui est resté passif face au désarroi de cette même ado / Marc (qui finalement se révèle être Marcia (la principale du collège d’Eva qui a fait la sourde oreille) et Marceau - le petit copain d’Eva qui a partagé les “Nudes” d’Eva à son pote Tom - le fils de la proviseur) et la logique punitive d’une vengeance ciblée contre l’inaction autour d’Eva qui a fini par se suicider en sautant du Beffroi.
Character driven (40%) : Le cœur de l’unitaire repose beaucoup sur Clara : son retour à Douai, son trauma de jeunesse (harcèlement), sa relation contrariée avec Jérôme et leurs enfants qui s’impliquent dans l’affaire. Les choix personnels orientent clairement l’enquête (Clara écarte Jérôme puis le réintègre, Marceau devient central, la grand-mère et Jo nourrissent la dynamique).Les conflits sont majoritairement internes : trauma de Clara, culpabilité de Jérôme, adolescents pris dans la spirale des nudes, question intime de la responsabilité parentale : jusqu’où aller pour protéger ou venger les siens ? Qui résonne avec la vengeance de Pauline (mère d’Eva) et la question posée à Clara à la fin de l’unitaire : “Vous auriez fait quoi si c’était votre fille ?”.
Arena driven (35%) : L’épisode exploite beaucoup l’arène douaisienne : beffroi, carillons, fête médiévale, souterrains, symboles inquisitoriaux, vocabulaire local (capirote - chapeau type KKK, procès…). Cette immersion territoriale est l’une des spécificités les plus visibles de l’épisode, même si elle est parfois un peu lourde.Les conflits sont avant tout relationnels, politiques et institutionnels : tensions avec la procureure et la hiérarchie, poids d’un passé inquisitorial, institutions scolaires et judiciaires qui n’écoutent pas les victimes, communauté complice par son silence… Et pose la question, jusqu’où va la responsabilité de ceux qui se taisent ou détournent le regard ?
Plot driven (25%) : La mécanique de la liste (Nicolas / Stéphane / Marc-ia), la succession des meurtres et l’urgence imposée par la procureure assurent une structure procédurale classique, mais elle reste au service des personnages et de l’arène, plutôt qu’au premier plan.Avec des conflits externes : course contre la montre pour arrêter le tueur avant qu’il ne frappe à nouveau, vérification d’alibis, protection des prochaines victimes. Et cette question, peut-on faire justice soi-même quand la police, l’école ou les pairs n’ont pas protégé une victime ?
Crescendo dramatique en trois temps
1. Mise en place et fausses pistes : meurtre mis en scène dans l’église, polémiques autour de la BD Les Hérétiques de Douai, suspects “académiques” (historienne féministe, thésard et réseau “sataniste”).
2. Accélération, deuxième victime : médecin retrouvé étranglé, incendie criminel au collège du bureau de la Principale ; l’enquête bascule vers le harcèlement d’Eva et la responsabilité des adultes.
3. Confrontation et révélation : au beffroi, Pauline (la mère d’Eva) tente d’exécuter Marceau ; mobile : faire payer l’inaction (prof, médecin, proviseure, petit copain). Arrestation, aveux, retentissement intime pour Clara, Jérôme et leurs enfants.
Arches narratives
* Policière : la liste, les alibis, et les symboles de l’Inquisition utilisés dans les mises en scène des meurtres, que les enquêteurs doivent interpréter.
* Personnelle : Clara/Jérôme (amour passé, remords, parentalité), Marceau/Jo et la question de la responsabilité des adolescents.
* Sociale : harcèlement scolaire et silence des institutions ; responsabilisation des adultes ; angle féministe (misogynie, disqualification de la parole).
Humour
Touches légères et inégales (Sofiane, sandwich au maroilles, la grand-mère en haut-parleur dans la voiture, quelques quiproquos), mais l’ensemble reste sérieux.
❌ Ce qui fonctionne moins
Démarrage trop long, suspense amoindri : le lien d’un personnage central à l’affaire (Ludovic) est trop vite évident, dès les premières minutes, Ludovic, le mari de Pauline (mère de l’ado qui s’est suicidée), s’inquiète pour le prêtre et mentionne la dépression de sa femme à la sortie de l’église. Indice trop appuyé pour ne pas y voir une connexion avec l’enquête. Le récit tente ensuite de détourner l’attention en introduisant d’autres suspects, mais ceux-ci sont rapidement disculpés par la police (alibis éliminés trop vite, poursuite et arrestations un peu faciles), ce qui laisse peu de place au doute et affaiblit la tension. Pareil on devine bien avant la fin que c’est Tom (fils de la proviseur du collège, ami de Marceau et à qui Marceau à envoyé les “Nudes”) qui a envoyé les nudes à tout le lycée. C’est dommage.
Un équilibre qui finit par alourdir le récit : On reproche parfois à certains Meurtres à de privilégier un aspect au détriment des autres, la relation entre les flics (Meurtres à Chartres avec un couple à la ville comme à l’écran) ou l’ancrage culturel et personnel au détriment de l’intrigue policière (Meurtres aux Marquises). Ici, Meurtres à Douai cherche clairement l’équilibre : character (40 %), arena (35 %) et plot (25 %) sont tous mis en avant, avec l’ambition d’être « bon » dans chaque domaine. Mais à vouloir tout couvrir, le récit s’alourdit.Le démarrage concentre énormément d’informations, notamment historiques : jargon, détails inquisitoriaux, références médiévales. On apprend des choses, certes, mais cette approche didactique peut sortir le spectateur de la fiction et rapproche parfois l’unitaire du documentaire, au détriment du divertissement. Tout dépend de ce que l’audience vient chercher.Même constat côté thématique : harcèlement, suicide, institutions défaillantes, féminisme, mémoire inquisitoriale, pardon… Autant d’éléments qui se rejoignent, mais dont la profusion finit par saturer le récit. À cela s’ajoute un parallèle très appuyé entre la backstory de Clara (elle-même victime de harcèlement) et l’affaire centrale. L’intention est claire, mais le miroir manque de subtilité, créant une impression de redite et un certain côté moralisateur par répétition du message.
La vraisemblance pose aussi problème à plusieurs reprises. Les enfants sont intégrés de manière un peu trop facile à l’enquête (stage de Marceau, découvertes dans l’ordinateur de la police, etc.). De la même manière, certaines coïncidences paraissent forcées, comme la poussette qui empêche Clara de tirer sur un fugitif en scooter. Les mises en scène des crimes, très sophistiquées, interrogent aussi : difficile de croire qu’une mère isolée ait pu orchestrer de tels dispositifs, tout en laissant sciemment des indices (la liste de noms dans les mains des victimes). On devine le besoin d’une logique policière, mais le procédé reste artificiel. Le lien entre les peintures de la “fille rousse” et Eva est lui aussi tiré par les cheveux : il faut comprendre a posteriori que les élèves, ayant vu les nudes circuler, auraient projeté son image sur les représentations historiques. Une idée intéressante sur le papier, mais trop implicite pour être vraiment percutante.
Les thématiques manquent parfois de profondeur. Le harcèlement de Clara est évoqué, mais reste si vague qu’il ne pèse pas vraiment dans le récit, réduisant la portée du parallèle avec Eva. Le timelock, censé donner du rythme, se résume à une injonction de la procureure, “il faut aller vite car la presse s’en empare”, ce qui manque de force dramatique. Enfin, la sous-intrigue de Sofiane et de sa non-promotion, présentée comme un fil rouge secondaire, reste confuse : ses méthodes sont différentes, certes, mais pourquoi ses résultats ne suffisent-ils pas à le faire reconnaître ? On a l’impression d’une piste à peine esquissée.
Le traitement des personnages reste inégal. Le duo Clara/Jérôme manque d’alchimie dans la première partie, même si leur complicité s’installe un peu plus sur la fin. L’arc de Jérôme, ex-prêtre devenu flic, peine à convaincre. La grand-mère et la procureure apparaissent anecdotiques, et leur présence n’a que peu d’impact sur l’intrigue. Quant aux adolescents, leur jeu est contrasté : Marceau est plutôt juste, mais ne laisse transparaître ni réelle peine, ni remords en lien avec la mort d’Eva, ce qui fragilise l’émotion de son arc. Jo, de son côté, réagit de manière étonnamment légère face à Tom “elle est dégoûtée, elle l’aimait bien quand même”..., l’auteur de la diffusion des nudes, comme si la gravité des faits lui échappait.
Le scénario soulève aussi une frustration autour du personnage de Tom. Qu’il soit l’auteur de la diffusion des nudes n’a rien de surprenant, mais le fait d’en faire le fils de la principale paraît sous-exploité. Il aurait été plus fort dramatiquement que cette mère choisisse de protéger son fils en gardant le silence, incarnant ainsi l’institution complice. Or, elle se contente de détourner le regard pour préserver l’image de son établissement, et surtout, elle ne subit aucune conséquence. Là encore, la question demeure : qu’arrive-t-il à ceux qui n’ont rien fait ? Tom, en classe de troisième, risque quelques travaux d’intérêt général, mais la principale, elle, sort indemne de l’affaire. Le message se dilue et perd en force.
âś… Ce qui fonctionne
L’unitaire réussit d’abord à s’ancrer fortement dans son territoire. Douai n’est pas qu’un décor, mais devient un véritable personnage avec son beffroi, son carillon, ses souterrains, son vocabulaire médiéval et son histoire inquisitoriale. Cet ancrage culturel donne une identité marquée à l’épisode et justifie pleinement son inscription dans la collection “Meurtres à …”.
La dimension sociétale est également pertinente. L’affaire d’Eva, victime de harcèlement et de diffusion de nudes, met en lumière la difficulté des victimes à être entendues, et plus encore lorsqu’il s’agit de femmes. Le récit adopte ainsi un regard féministe assumé sur l’inaction coupable des institutions. Un détail marquant illustre bien cette critique : le prédécesseur de Clara, un commandant que l’on ne voit jamais mais dont on nous rappelle qu’il affichait des posters de femmes dénudées dans son bureau. C’est auprès de lui que Pauline, la mère d’Eva, avait tenté de déposer plainte, sans être écoutée. Ce choix scénaristique, discret mais efficace, renforce la cohérence thématique et souligne à quel point une plainte ignorée peut avoir des conséquences tragiques. Toutes ces victimes auraient pu être épargnées si la parole de Pauline avait été prise au sérieux.
La dramaturgie trouve sa cohérence dans le troisième acte. Les confrontations finales tendues, au beffroi et dans la salle d’interrogatoire, donnent son intensité au récit. Les différents fils narratifs, enquête policière, drame personnel et dimension sociale, se rejoignent, et toutes les graines plantées depuis le début finissent par trouver un sens, même si parfois de manière un peu laborieuse. Ce dernier segment emporte néanmoins l’adhésion et clôt l’épisode sur une note forte.
Conclusion
Meurtres à Douai respecte l’identité de la collection : un polar ancré dans un patrimoine local, enrichi d’une résonance sociale. L’unitaire assume une double ambition, divertir et questionner, et s’il peine parfois à trouver le juste équilibre, il a le mérite de chercher à combiner enquête, mémoire collective et propos sociétal. Un épisode qui séduira surtout celleux qui apprécient les polars territorialisés à forte portée sociale, moins ceux qui cherchent une enquête efficace, plus axée sur le suspense que sur les discours.
Regardez l’épisode ICI.