Le Chagrin, extrait in Poèmes d'amour section (2020)Illustration : Xabier Moingeon - https://xabiermoingeon.wordpress.comLe retour seul dans l'immense chagrin de l'appartement vide.Tout qui te rappelle à elle. Les livres éparpillés sur la moquette de la chambre, sa brosse à dents, son parfum collé aux draps du lit, l'odeur qui ne s'en va pas, qui est incrustée partout dans les fibres. Une odeur de pierre chaude du soleil d’été et de patchouli. C’est sucré dans la bouche, une gorgée de miel. Ça nourrit et ça donne soif. Tu es à bout de soif de son odeur. Tu t'endors presque dans le manque et l'assèchement. Ta langue claque sans force sur le palais. Le goût monte dans tes yeux et dans tes larmes. Tes larmes ont le goût de son miel à elle. C'est insupportable de douleur, un élancement dans la poitrine. Tu voudrais lécher ce goût sur sa peau qui est à l'intérieur de toi. Ça résonne de tristesse à l'intérieur. Ça résonne avec le son de sa voix. Tu écoutes sa voix dans le silence de la nuit et tout à coup, tu ne te souviens plus des cris de colère ni des pleurs, tu ne te souviens que des rires, de la joie et du plaisir de sa chair. Les souvenirs, le manque de la chaleur du corps qui laisse un vide sans fin, les insomnies à la chercher pour l'aimer encore et les larmes inaltérables sur l'oreiller qui ne sèche pas. L'odeur toujours plus forte et prégnante. C'est presque rassurant. Tu veux vivre comme ça maintenant : dans l'humidité et l'odeur qui te relient à elle. Tu ne te défais plus des draps. Tu restes le corps enroulé dans les draps, dans l'odeur des corps mêlés comme si c'était sa peau à elle qui recouvrait entièrement ta chair nue. Quant tu t'endors enfin dans l'ivresse des larmes et du chagrin, tu peux la retrouver et l'aimer. Elle est si vraie que tu peux la toucher. De tes doigts, tu sens sa douceur, son souffle chaud comme un gant d'air qui forme une bruine de bonheur sur ta peau. Sa voix se rapproche. Tu entends tout bas, distinctement les mots « je t'aime » qui flottent quelques secondes autour de toi. Les mots d'une reine. Et tu te réveilles. (...)