
Kim Tschang-Yeul, Goutte d’eau sur sable, 1974, coll. Particulière.
Aujourd’hui je reçois le philosophe et mathématicien, Olivier Rey mais avant, une petite histoire…
Peut-être connaissez-vous le peintre Kim Tschang Yeul. Né dans un petit village de l’actuelle Corée du Nord, il sert comme soldat durant les conflits sino-japonnais de la deuxième guerre mondiale et reste profondément marqué par les atrocités auxquelles il assiste. Dans les années 60, après un détour par New-York, il arrive à Paris où il cherche encore sa voie artistique. Il raconte qu'une nuit, dans son atelier, pour apaiser un réveil angoissé, il pose une de ses toiles à l’envers pour y jeter de l’eau qui se répartit en d’innombrables gouttes. Il voit alors se créer un tableau. Le phénomène est, pour lui, si étonnant qu’il se met à peindre ces gouttes d’eau. Pendant 50 ans, il ne peindra plus que cela. Des gouttes d’eau. Des gouttes ovales, rondes, molles, colorées, monochromes, des gouttes joyeuses, naïves, réalistes, abstraites, des larmes aussi. Des gouttes d’eau pour laver sa mémoire des images obsédantes de guerres, de cadavres, de corps chancelants, d’amis déchiquetés sous ses yeux par des obus. Des gouttes d’eau pour se laver de cette violence et remplacer d’urgence les ténèbres par la vie. Bachelard dit qu’ « une goutte d’eau puissante suffit pour créer un monde et pour dissoudre la nuit. L’eau ainsi dynamisée, poursuit-il, est un germe ; elle donne à la vie un essor inépuisable ». Kim Tchang Yeul utilisait l’eau comme une consolation, pour réparer son âme.