Marie-Eve: Olivier, tu n’es pas le dernier à glisser des blagues graveleuses dans tes chroniques, quitte à bousculer la pudeur des invités et des auditeurs. Pourtant, on sait qu’il y a un cœur d’artichaut qui bat dans cette poitrine de matamore, que tu as un tempérament délicat et sensible. J’imagine donc que tu regardes avec une certaine bienveillance l’émergence des coordinateurs d’intimité, n’est-ce pas?
Avec une énorme bienveillance, tu veux dire! Savoir que grâce à cette profession, les actrices seront moins harcelées ou paluchées par des Gégés la Poutre et autres butors prédateurs, ça me remplit de contentement. Si je n'ai rien contre la gauloiserie, j’ai toujours eu une sainte horreur des mufles à qui la richesse, la célébrité ou les hormones commandent de traiter les femmes comme des gonzo girls. Eh les mecs, vous qui plaidez souvent pour séparer l’homme de l’artiste –un argument que je peux entendre d’ailleurs–, il faudrait que vous appreniez aussi à séparer le cinoche, l’art, la fiction, le bouillonnement de vos fantasmes des interactions que vous pouvez avoir avec des femmes réelles dans le monde réel, bandes de phacochères! Donc les coordinateurs d’intimité, j’applaudis. Maintenant, cela dit, on aurait tort de s’arrêter en si bon chemin. Il est urgent d’inventer un nouveau métier en miroir du premier.
M.-E.: Un nouveau métier? En miroir? Qu’est-ce que tu as en tête, petit canaillou?
Eh bien disons qu’aujourd’hui, des vertus telles que la sociabilité ou l’urbanité auraient sacrément besoin d’un peu de réclame. Les malotrus sont partout! L’invasion des profanateurs de tranquillité est un raz-de-marée. Et là, à ce niveau de bourrinage, navré d’avoir à le préciser, hommes et femmes sont à égalité parfaite: aussi débiles les uns que les autres. C’est pourquoi je milite pour la création d’un job d’utilité publique, celui de coordinateur d’extimité.
M.-E.: Ben voyons. Et quelle serait leur fonction, à ces champions?
Ce seraient en quelque sorte des diplomates énervés. Un peu comme des parents de l’ancien temps, avec permis de sévices corporels. Tenez, un exemple. Vous connaissez le Bain Bleu à Genève? Oui, ce hammam et spa chichiteux, avec décor orientalisant et bassin en rooftop, histoire de contempler le lac en sirotant un spritz si le cœur vous en dit. Sachez que la direction de l’endroit, un peu molle du bulbe, n’a pas jugé utile d’interdire expressément l’usage du smartphone dans ses installations. Résultat: alors que vous passez un moment de douce quiétude dans les bulles, vous devez endurer le spectacle d’une cohorte de beaufs et de pouffes qui barbotent téléphone à la main, le bras crispé en l’air pour maintenir leur bidule hors de l’eau. On jurerait Gollum tripotant l’anneau de pouvoir! Et que ça se filmouille, et que ça se selfie parmi, comme s’il était vital de partager avec le monde entier ses tatouages à gerber ou ses faux cils qui pourraient servir de tremplin à Simon Amnann, le sauteur à ski. En plus les gens, vous me semblez en général particulièrement chatouilleux, et à juste titre, sur la notion de consentement. Or à quel moment ai-je consenti, moi, à me retrouver en arrière-plan de votre story Instagram ou de votre live à la con balancé sur TikTok? Hein? Je vous le demande! Jamais, oui, c’est bien ça. Voilà donc un moment parfait où le coordinateur d’extimité pourrait sévir. Intervenant en loucedé, armé d’un katana et se coulant tel un ninja dans le sillage du cuistre à smartphone, il lui couperait le bras fautif d’un coup d’un seul. Tchack! Ah je vous garantis que ça filerait aux autres de sacrées envies de déconnexion le temps de la baignade. Ensuite d’accord, dans les rues on croiserait un peu plus de manchots, mais bon on vit dans un monde inclusif, où les personnes en situation d’estropiement ont droit à toute notre compassion et tout notre amour, non?
M.-E.: Oulah tu n’y vas pas avec le dos de la cuillère… ou avec le manche du katana, Olivier. Et à quoi d’autre pourrait-il s’employer, ton coordinateur d’extimité?
Oh rien qu’avec le cas du smartphone, il aurait fort à faire. Menacer de son sabre ceux qui matent des vidéos sans écouteurs dans les transports publics. Scarifier votre ado incapable de dialoguer deux minutes avec vous sans être fasciné par les foutues notifications qui font vibrer son iMachin en permanence. Fesser du plat de la lame les parents qui collent une tablette dans les mains de leur mouflet encore dans les langes. J’en passe et des meilleurs. Les autres champs d’intervention seraient nombreux d’ailleurs. Je pense aux automobilistes qui se garent comme des ploucs, occupant deux places alors que bon sang, pour se croire seuls au monde, ils pourraient au moins attendre que l’apocalypse ait eut lieu. Ou à ceux pour qui le clignotant est un accessoire en option. Ou aux cyclistes pour qui les feux de circulation sont des accessoires décoratifs. En fait, j’y pense, les coordinateurs d’extimité pourraient même remplacer de temps à autre les coordinateurs d’intimité sur les plateaux de tournage.
M.-E.: Ah oui? Et pourquoi ça?
C’est limpide: face à un coordinateur muni d’un katana, m’est avis que bien des Gégés priapiques auraient subitement envie de garder leur poutre dans leur pantalon.
---
Émission diffusée sur Radio Vostok en direct du Service de la culture de Meyrin, le 24 mai 2024
Publiée le 27 mai 2024