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Description

Le pardon est à la base du christianisme. Cependant, ce pardon est difficile à accorder. Est-ce qu’il y a des choses impardonnables?  
Dans cet épisode, Joan et Stéphane explorent la différence entre la saine vigilance et la possibilité de changement, et abordent les limites que nous nous imposons.
 

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* Musique de Lesfm, pixabay.com. Utilisée avec permission. 

* Photo de Edwin Andrade, unsplash.com. Utilisée avec permission.

 

 

Bonjour, bienvenue à Question de croire, un podcast qui explore la foi et la spiritualité, une question à la fois. Cette semaine, est-ce qu'il y a une limite au pardon?

Bonne question et bonjour Stéphane! Bonjour Joan, bonjour aux gens qui nous s'écoutent!

 


Le pardon et Sodome et Gomorrhe 

 

[Joan] Cette notion du pardon... Elle traverse un peu toute la Bible, elle culmine avec Jésus qui est un grand maître.

 

J'aime beaucoup une histoire biblique à ce sujet concernant la ville de Sodome et Gomorrhe. C'est vrai que l’on connaît un peu Sodome et Gomorrhe via des exégèses souvent biaisées qui disent que ce sont des villes où on pratiquait l'homosexualité.

 

Alors tout de suite, je fais mon standing point. On y pratique beaucoup de choses, mais surtout pas le consentement ni l'hospitalité. 

 

C'est vraiment ça le cœur du propos, finalement, et aussi le cœur de la condamnation de Dieu qui se dit « je vais exterminer cette ville ».

 

Et puis Abraham négocie. 

 

C'est rigolo parce que là, on est dans une histoire biblique, on dirait presque un midrash, une histoire un peu parallèle qui explique la Bible; mais non, c'est une histoire biblique. Et Abraham négocie avec Dieu. C'est à lire, comme passage c'est un peu croustillant. À mettre en scène avec des jeunes, c'est assez rigolo.

 

Finalement, Dieu demande qu'il y ait au moins 50 justes, 50 personnes qui suivent les voies du Seigneur, qui probablement pratiquent l'hospitalité et font gaffe aux questions de consentement, ou en tout cas à ce qui existait à l'époque en matière de consentement. 

 

On ne sait pas trop ce que c'est, ce n'est pas tout à fait comparable à aujourd'hui, mais c’est un respect des règles, tout simplement, quelque chose qui n’est pas tout le temps de l'ordre de la domination et du pouvoir.

 

Finalement, ils arrivent ensemble à un chiffre qui est 10. C'est un chiffre symbolique parce que dans la tradition juive, il faut 10 hommes pour minian, pour faire la prière, donc pour faire éclore un petit peu quelque chose du royaume de Dieu dans notre quotidien. 

 

C'est vrai que c'est un peu aussi ma compréhension du pardon, c'est-à-dire oui, je suis prêt à pardonner à cette ville, dit Dieu, mais à condition qu'il y ait un semblant de justesse et de justice et qu'il y ait des personnes pour l'incarner. Et moi, c'est un petit peu comme ça que j'aborde les questions de pardon.

 

Souvent on pose des questions. Il y a quelques jours, et c'est un petit peu à elle que je pense, j'ai une amie d'enfance qui sort d'une situation dans laquelle elle ne s'est pas sentie respectée, une situation sentimentale, amoureuse; elle me dit, qu'est-ce que tu penses du pardon dans ces cas-là, quand tu te n'es pas sentie respectée dans une relation?

 

Alors voilà, on a commencé une discussion et je lui dédie aussi un petit peu cet épisode de podcast. 

 

Je me dis souvent que ce qui n'est pas tellement important, c'est que moi j'ai pardonné, bien que si ça fait du bien à l'autre, je veux bien me mettre en chemin.

 

L’important, c'est qu'après cette demande de pardon et le fait de poser les choses à plat, il y ait une vraie possibilité d'agir avec justesse. Pour moi, demander pardon à quelqu'un et puis ensuite recommencer cinq minutes après à faire n'importe quoi, il n'y a pas de sens à ce type de pardon.

 


La sincérité des hommes politiques 

 

[Stéphane] C'est très intéressant, cette notion de pardon, parce qu'on a un peu l'impression qu'il faut absolument pardonner, peut-être par les enseignements qu'on a reçus, peut-être par notre jeunesse. Moi j'ai souvent vécu ça. Plusieurs personnes à l'écoute ont vécu ça ou ont vu ça. 

 

Deux enfants se chamaillent, puis là, l'adulte intervient. Bon, vous allez arrêter tout ça et serrez-vous la main, puis c'est terminé. Un peu comme c'est tout. Voilà, vous vous êtes serré la main, c'est pardonné, on oublie, on passe à autre chose. Il y a comme quelque chose qu'on croit magique. 

 

Ça me fait penser aussi à l'homme politique qui se fait prendre la main dans le sac, peu importe la situation. Il arrive sur la place publique, je m'excuse, bla bla bla, je suis désolé. Et on se pose la question, mais est-ce que c'est sincère?

 

Je pense qu'il y a une question de crédibilité reliée au pardon. Lorsque les personnes présentent leurs excuses, bon, c'est bien, je veux bien. Mais est-ce que, parce que tu t'es fait coincer, tu te sens mal et tu veux que je te pardonne, ou vraiment il y a une réflexion de dire « ce n'est peut-être pas la meilleure chose que j'ai faite et c'est vrai que je veux changer. »

 


Laisser une porte ouverte en cas de conflit

 

[Joan] Il me semble que, sauf cas de personne manipulatrice, on le sent, on l'entend, on le sait lorsqu'il y a une vraie réflexion. 

 

Moi j'ai une politique personnelle sur le pardon avec mes amis. Je me dis, la vie est compliquée, mais elle est aussi longue. Et c'est vrai, on en a parlé dans l'épisode précédent, des fois on finit par se retrouver pour des raisons XY, de déménagement, de situation de vie.

 

Alors souvent j'essaye, quand on a un désaccord, (j'ai 45 ans, il y a eu des gens avec qui j'ai eu des désaccords, des gens proches), j'essaye de refuser qu'on se quitte avec des griefs. Je me dis, parlons-en, disons-nous les choses. 

 

Il n'y a pas si longtemps que ça, j'ai quelqu'un que j'aimais beaucoup dans ma vie, qui avait une grande place. Et voilà, on arrive à un point où notre relation n'était plus la même. Il ne s'agit pas de mon mari. Je me suis dit : il faut boucler cette boucle et le dire franchement. Et se dire aussi, peut-être qu'un jour, on arrivera à dépasser certaines choses et à vivre encore d'autres choses.

 

Disons que, sauf cas extrême, la porte reste toujours ouverte. C'est un petit peu comme ça que je gère mon rapport au pardon. Mais après, il y a la question du cas extrême. Et donc, on arrive à cette question de la limite.

 


La nomination controversée de l’archevêché de Toulouse

 

[Stéphane] C'est très pertinent parce que, est-ce qu'il y a des choses qu'on ne peut pas pardonner? Ce que moi, je considère qu'on ne peut pas pardonner, ce n'est pas la même ligne normalement que la tienne, Joan, ni qu'une personne qui est à notre écoute. Qu'est-ce qu'on fait dans ces cas-là?

 

Oui, il y a des systèmes de loi lorsqu'il y a des crimes. Bon, c'est bien. Lorsqu'on parle de choses peut-être un peu plus émotives, lorsqu'on sent une trahison. 

 

Un exemple, et c'est un peu cette histoire-là qui m'a inspiré, moi, pour qu'on traite ce sujet, c'est le cas de l'archevêché de Toulouse. Certaines des personnes à l'écoute connaissent les faits, mais juste au cas où. 

 

L'archevêque Mgr Guy de Kerimel a nommé une personne, je ne dirai pas son nom, mais c'est public si vous voulez aller le chercher, dans une position quand même assez importante au niveau de l'archevêché. Le truc, c'est que cette personne-là, il y a environ 30 ans, a été reconnue coupable d'agressions sexuelles sur mineurs – ce ne sont pas juste des accusations comme ça –.

 

Ça a créé une réaction épidermique. On le comprend après toutes ces années de scandales et surtout de mensonges et de dissimulation pendant des décennies, voire des siècles. Ce n'est pas surprenant. 

 

La question est : une fois que la personne a payé entre guillemets sa dette à la société, est-ce qu'elle peut être réintégrée ou non? C'est très difficile et je ne prends pas parti pour l’un ou pour l'autre, je constate juste de l'extérieur que c'est très difficile de tirer une ligne.

 


Peut-on pardonner à un pédo-criminel

 

[Joan] Écoute, je salue ta neutralité canadienne qui rejoint d'ailleurs la neutralité suisse. Moi, sur les questions de pédocriminalité, je refuse l'angélisme. En fait, je me suis beaucoup renseignée. 

 

D'abord, je viens d'une famille de travailleurs et travailleuses sociaux, donc ce sont des sujets avec lesquels j'ai grandi. J'ai aussi vu malheureusement des petites victimes qui ont été hébergées par mes parents. Sans entrer dans les détails, je me figure tout à fait les ravages que ça fait sur les enfants et les jeunes, les actes de pédocriminalité. 

 

Pour moi, un pédocriminel récidiviste, je ne parle pas nécessairement d'un gamin de 16 ans qui découvre sa sexualité et qui fait des choses criminelles avec quelqu'un de plus jeune de sa famille. Après, on lui explique les choses, il est suivi, il comprend la portée de son acte, peut-être qu'il a reproduit quelque chose qu'il a subi. Des fois, il peut y avoir des situations où, pédagogiquement, on peut reprendre les choses, on peut les encadrer, on peut les surveiller. 

 

Je parle vraiment de quelqu'un d'adulte et de criminel récidiviste qui est prédateur, donc qui fait des plans. Je connais cette situation de très près, puisque ma deuxième fille a malheureusement été suivie par un prédateur comme ça, donc c'est tout un état d'esprit. 

 

J'estime que quelqu'un comme ça, qui a développé maintenant ce type d'approche de prédation, de criminalité et de sexualité, n'a pas été pardonné de ses péchés, dans le sens où il a une pathologie. C'est pathologique là maintenant, c'est quelque chose dont il ne pourra plus se séparer, dans l'état des soins actuels. 

 

Donc, comme il va toujours finir par faire du mal à une personne plus faible ou sans défense, parce que c'est maintenant son mode opératoire pour avoir du plaisir sexuel, appelons un chat un chat, ce n'est pas de pardon dont il a besoin en premier, mais justement, comme j'ai dit, de soins, et dans le cas, majoritaire pour l'instant, où les soins ne fonctionnent pas, d'un lieu de vie sécure pour lui et les autres.

 

Il y a vraiment du cas par cas à faire sur les questions de pardon. Pour moi, ça ne se joue pas vraiment du côté du pardon, mais du côté de la sortie du déni. 

 

Les quelques rares cas de personnes qui ont ces paraphilies pédocriminelles, les quelques rares cas où ils arrivent à mettre en place un système qui les empêche d'aller vers cette criminalité-là, ce sont des personnes qui sont sorties du déni. Parce que sinon, dans la très grande majorité des cas, ce sont des personnes qui vivent dans le déni. 

 

J'avais vu comme ça toute une interview d'un prêtre qui avait fait des choses répréhensibles envers des mineurs et qui disait : je n'ai compris que plus tard que les enfants ressentaient des émotions. Donc là, on est dans un déni complet quand même.

 

Une fois sortis du déni - ça c'est un travail thérapeutique - moi je ne suis pas capable de mener des gens comme ça dans le travail thérapeutique. Je peux aider, je peux être une des personnes qui accompagnent, mais je ne peux pas être celle qui mettra en place le protocole de soins.

 

Je pourrais pardonner au prédateur d'avoir été agressivement dans le déni, ça, je pourrais le lui pardonner. Mais je ne pourrais jamais lui pardonner ces actes-là, c'est impossible. Je n'y arrive tout simplement pas et je le reconnais, je le dépose à la croix d'ailleurs.

 

Je ne peux pas parce que j'ai vu trop d'enfants qui sont complètement détruits et qui trouveront, certains d'entre eux, par l'amour et le temps, la force de se construire. Mais pour les autres, on sait très bien comment ça se termine. 

 

Je trouve souvent que c'est angélique et que c'est de la pensée magique que de me dire, et ça m'est arrivé beaucoup dans ma vie, oui, mais tu es pasteur, tu dois leur pardonner. Alors ça, les amis, non, ce n'est pas comme ça que ça se construit.

 

Et ce n'est même pas bon, en fait, pour leur psyché. Je dirais même que l'amour que je leur porte implique que je ne leur pardonne pas comme ça, tout simplement. Cela implique que je leur pose un cadre, que j'ai des exigences et que je les renvoie justement à leur responsabilité.

 


Es-tu un criminel pour le reste de sa vie? 

 

[Stéphane] Je suis d'accord avec toi pour les questions où les personnes vont agresser d'autres personnes et que c'est difficile de réformer cette personne-là. 

 

Ce qui m'a fait réfléchir récemment, c’est un TED Talk, les conférences TED, et c'était un Américain dans l'industrie du divertissement qui a commis un hold-up à l'âge de 16 ans. Il a purgé sa peine pendant neuf ans et demi en prison. 

 

C'est un peu ça le deal, du moins en Amérique du Nord. Une fois qu'on a payé sa dette à la société, on devrait avoir le droit de recommencer, tant aussi longtemps qu'on ne recommence pas à faire des crimes. Ce que cette personne mentionne, c'est qu'il y a une série de lois, une série de restrictions qui vont limiter ses ajustements pour le reste de sa vie, même s'il ne commet aucun autre crime. 

 

Et là, à certains moments, je me demande où doit-on tracer la ligne? Parce que tu as commis un crime, on va prendre pour acquis que tu es toujours un criminel… ou parce que tu as blessé un ami, je vais vouloir avoir ma revanche sur toi, je veux que tu souffres. 

 

Où tire-t-on la ligne entre une saine vigilance (oui, aucun problème avec ça). Un pédo criminel, je pense que c'est une question de vigilance que de demander qu'il ou elle ne se retrouve pas avec des personnes vulnérables, avec des mineurs. Aucun problème avec ça. 

 

Mais est-ce qu'une personne qui fait un hold-up, un vol, un délit de fuite, doit payer pour toute sa vie? Je ne sais pas. Ça me questionne beaucoup. Et qui décide où est cette ligne, au-delà des aspects légaux?

 


La conversion des cœurs

 

[Joan] Pour moi, ça m'amène finalement à deux problématiques. Un, celle de la métanoïa, de la conversion des cœurs, et la deuxième, celle de la dissimulation. 

 

Je vais commencer par la dissimulation parce qu'en fait, les systèmes trop répressifs ne donnent pas une vraie seconde chance aux gens qui n'ont pas une pathologie vraiment comportementale, mais qui font des erreurs, notamment de jeunesse, tous ces systèmes encouragent à la dissimulation.

 

Ce n'est pas tant qu'on ne fait plus de hold-up ou de magouille, mais c'est qu'on apprend, et souvent d'ailleurs on apprend ça en prison, à dissimuler les choses ou à mieux les faire ou à mandater d'autres pour les faire. 

 

C'est un petit peu l'autre écueil de ne pas être une société capable de donner de secondes chances, notamment pour des erreurs de jeunesse, on encourage d'autres vices, donc la dissimulation. 

 

La deuxième chose à laquelle je pense, c'est qu'en tant que chrétienne, c'est vrai que je crois très fort à la conversion des cœurs, et ça j'y crois, mais alors complètement.

 

C'est pour ça que parfois les gens sont choqués, ils me disent « ah, mais comment, tu veux enfermer des pédocriminels? » et je leur dis « ben en fait, je pense que ces pédocriminels peuvent convertir leur cœur, mais qu'ils ont besoin de beaucoup, beaucoup de soutien pour ne pas céder à leur paraphilie criminelle ».

 

Ce n'est pas parce que tu as converti ton cœur qu'après tu arriveras à aligner toutes tes actions. Ce n'est pas du tout fou, ce n'est pas simple, sinon il n'y aurait pas eu Judas. Et Judas, c'est nous. C'est toujours pareil. 

 

On revient à l'épisode d'avant sur nos ennemis. On aimerait pouvoir dire c'est l'autre le problème et puis non, si on est honnête, ça fait partie à la fois du problème et à la fois de la solution. Du coup, moi j'aimerais tellement qu'on ait des sociétés plus axées sur la deuxième chance, sur le rebond, sur refaire sa vie, sur soutenir les gens.

 

J'aime beaucoup, et c'est vrai que je suis très de gauche, mais j'aime beaucoup toutes ces initiatives sur le désendettement personnel. En droit local, en Alsace, il y a cette possibilité d'être désendetté personnellement. Il y a aussi des mesures comme ça en Suisse, et je trouve que ça, ce sont des mesures vertueuses.

 

Parce que du coup, comme tu disais avant, on permet à la personne de repartir et puis d'être de nouveau un bienfait pour la société. Ça poserait même encore une autre question. Ce n'est pas quelles sont les limites du pardon, mais quelles sont les chances du pardon, ou bien quelque chose comme ça. Qu'est-ce que le pardon permet de vertueux? Est-ce qu'on est prêt aussi à vraiment pardonner? 

 


Être prêt à vraiment pardonner

 

[Stéphane] C'est facile de pardonner les petites choses. « Bon, tu m'as pris cinq dollars, tu me n'as jamais remboursé. » Bof! Mais lorsque, comment dire, ça fait mal, lorsque ça vient nous toucher dans nos valeurs, ça peut être matériel, ça peut être plein de choses. C'est là que ça devient difficile et c'est là que c'est demandant de pardonner. 

 

Je pense à la fin de l'évangile selon Jean, chapitre 21. La célèbre scène où Jésus demande à Pierre, « Pierre, est-ce que tu m'aimes? » Pierre était très proche de Jésus. On peut l'interpréter comme on veut, mais il était vraiment dans le cercle intime. On a l'impression que c'était vraiment copain-copain. Il l'a trahi, il l'a trahi et abandonné au moment où il allait être mis à mort. Il l'a renié : je ne le connais pas, bla bla bla. 

 

Et dans cette épilogue, probablement ajouté plus tard à l'évangile, on a Jésus qui trois fois lui demande « Est-ce que tu m'aimes, Pierre? » Je sais que c'est Jésus, et je ne suis pas Jésus. Mais moi, si quelqu'un m'avait trahi comme ça, ça me demanderait beaucoup pour dire « ok, je te pardonne, puis on repart sur de nouvelles bases ». 

 

C'est très difficile le pardon, et je pense que c'est ça qui vient nous chercher, cette demande d'énergie, cette demande presque d'humilité, je dirais, dans le sens où je ne suis pas en contrôle de l'autre personne. Je ne peux pas dicter ce que cette personne peut dire, ce que cette personne peut faire. Pour faire écho à l'épisode précédent, je peux l'aimer, je peux essayer de rétablir des bases, mais je n'ai pas de contrôle là-dessus. 

 

Donc le pardon, souvent j'exprime ça, c'est comme de laisser aller toute cette colère, toute cette toxicité qui est à l'intérieur de nous, qui nous gruge nous-mêmes. Parce que lorsqu'on est fâché contre l'autre personne, parfois l'autre personne ne le sait même pas. Et la seule personne dont la vie est empoisonnée, c'est nous-mêmes. Et de dire « je laisse aller ça », ça ne veut pas dire « j'oublie ». 

 

J'adore les anglophones quand ils font la différence entre « to forgive » et « to forget ». Pardonner et oublier, les mots en prononciation en anglais sont proches, mais c'est quand même deux concepts différents. Je ne veux pas dire j'oublie nécessairement ce que tu as fait, mais je laisse aller. J'arrête de m'empoisonner la vie avec ça et j'avance, j'ouvre la porte. Si tu veux rentrer, merveilleux. Si tu ne veux jamais rentrer, ben tant pis, moi j'ai ouvert la porte.

 


Se pardonner soi-même

 

[Joan] J'ai une pensée qui rejoint vachement ce que tu es en train de développer là. En fait, ce que je trouve le plus difficile, c'est de se pardonner à soi-même.

 

Je me suis levée, j'étais bien, j'étais de bonne humeur. J'étais un peu à la bourre pour une vidéo, mais j'étais de bonne humeur. Et la vidéo, elle ne s'est pas bien passée parce que je ne m'étais pas branchée sur le bon Wi-Fi. Alors, j'ai cassé les pieds à tout le monde parce qu'on ne m'entendait pas toujours, on ne me voyait pas toujours. 

 

Je m'agaçais vachement, et je m'en suis vachement voulu, en fait, de ne pas juste avoir vérifié mes paramètres de Wi-Fi entre le Wi-Fi du haut et le Wi-Fi du bas. Je n'étais peut-être pas bien réveillée, j'étais peut-être un petit peu trop détendue, je n'en sais rien. Je me suis débattue toute la matinée avec un sentiment de culpabilité, à me dire : ah, mais tu es bête. En plus, c'étaient des collègues plus jeunes que moi. Tu t’es un peu ridiculisée avec tes histoires de Wi-Fi du haut, Wi-Fi du bas.

 

Franchement j'ai eu beaucoup de mal à me pardonner une petite histoire d'une petite vidéo, d'une petite Wi-Fi. Je me dis, c'est qu'on ne nous enseigne pas beaucoup la bienveillance envers soi-même, comme si justement ce n'était pas trop possible de se pardonner. 

 

Comme on n'a pas vraiment ça dans l'éducation, on a quelque chose à travailler là-dessus. Ça m'amène à des réflexions un peu plus graves, un peu plus tristes, avec un traumavertissement pour celles et ceux qui pourraient être concernés.

 

Je me demande souvent comment font les personnes qui ont fait du mal sans intention de le faire, pour se pardonner. Je pense à un collègue qui malheureusement avait roulé sur son fils; le fils n'est pas décédé, mais bon, enfin, il a eu un peu mal, quoi, disons. Comment est-ce qu'on fait? Moi, j'ai eu trop de mal. 

 

Là, ça va mieux, ça va mieux. Puis demain, ça ira très bien. Mais je me suis quand même sentie... enfin, pas obligée, mais ça m'a fait du bien d'envoyer un message pour expliquer la situation sur mon problème de Wi-Fi du matin.

 

Après, je me sentais un petit peu mieux, tu vois. Je me demande, mais comment font celles et ceux qui, dans leur quotidien, font un geste, oublient quelque chose et que ça a une portée catastrophique. Est-ce qu'on arrive à enseigner cette culture de s'auto-pardonner quand il n'y avait pas d'intention de faire du mal?

 


Le pardon à la base de l’identité chrétienne

 

[Stéphane] Dans le Notre-Père, on dit « Pardonnes-nous nos péchés comme nous pardonnons à ceux et celles qui nous ont offensés ». Moi, j'y vois une invitation à pardonner, parce que si on veut que Dieu nous pardonne comme on pardonne aux autres, si je veux que Dieu me pardonne, alors j'ai intérêt à le faire moi aussi, puis de commencer avec moi-même.

 

Avoir cette assurance-là, que Dieu pardonne si on est prêt à confesser humblement, honnêtement, notre péché, nos péchés, Dieu pardonne. J'étais dans une paroisse où on me disait : non, non, non! La reconnaissance du péché, tout ça, c'est de la vieille Église, c'est de la manipulation. Les gens se sentent mal, les pauvres personnes âgées ont bien assez de problèmes, on ne va pas leur en rajouter. 

 

Moi, je disais : oui, ce n'est pas plaisant de reconnaître nos erreurs, mais c'est l'assurance du pardon qui vient après, qui est tellement puissante : avoir un Dieu qui nous aime tellement, qui nous dit « ok, tu as fait une connerie, tu as fait une erreur, tu as dit telle chose, tu n’as pas pris la pleine mesure de ton action, de tes paroles, ok, on peut recommencer. Ce n'est pas la fin de tout. Il y a une possibilité de continuer d'avancer ensemble. »

 

Je trouve ça merveilleux et inspirant, parce que, en même temps, je me dis : si Dieu est prêt à faire ça avec moi, peut-être que moi, ma petite personne avec toutes mes limites, je peux essayer de suivre un peu ce chemin-là, puis de regarder les autres, puis de dire, OK, ce n'est pas la fin de tout. Et puis on peut essayer de continuer ou recommencer ou reconstruire quelque chose.

 


La parabole du fils prodigue

 

[Joan] C'est avec la parabole du fils prodigue qu'on peut terminer. Ce fils qui réclame son héritage pour aller faire la fête à la ville et faire n'importe quoi, ou bien peut-être pas n'importe quoi, juste des trucs que les jeunes aiment faire, que moi aussi peut-être j'aimerais faire, mais ça me donne mal à la tête.

 

Une fois qu'il a tout dilapidé, il s'est retrouvé plus bas que terre; en plus il y a une famine dans le pays, voyez-vous ça? Terrible. Il revient vers son père et son père fait une énorme fête. Et puis son frère qui est là, qui est resté, qui se pose 2-3 questions, et il a bien le droit de se poser 2-3 questions.

 

C'est un peu comme ça le système de pardon, parfois on va pardonner à des gens, puis les gens autour de nous vont se poser 2-3 questions; parfois Dieu va nous pardonner et nous-mêmes on va se poser 2-3 questions sur pourquoi est-ce que Dieu me pardonne?

 

Les deux vont ensemble, je trouve, c'est une dynamique un peu vertueuse de dire qu'il y a peut-être toujours une possibilité de pardon, mais c'est quand même aussi bon de continuer à se poser des questions.

 


Conclusion

 

Merci, Joan, pour cette conversation. Merci à toutes les personnes qui nous écoutent, qui nous offrent quelques minutes de leur semaine, de leur journée pour nous écouter. Merci à l'Église Unie du Canada, notre commanditaire qui nous permet d'être diffusées sur plein de plateformes. D'ailleurs, n'oubliez pas d'aimer, de partager, de mettre des commentaires, c'est toujours bon pour le référencement.


Si vous avez des questions, si vous avez des suggestions pour nous, ne vous gênez pas. questiondecroire@gmail.com. Bonne semaine, Joan. Bonne semaine à vous. Au revoir.