Dans ma chronique de la semaine dernière, je soulignais qu’un des effets collatéraux des guerres était de faire disparaître la notion même de vérité en recourant sans cesse au mensonge. C’était juste avant la découverte des crimes de guerre commis dans les régions qui viennent d’être reprises par l’armée ukrainienne, et je ne croyais pas, hélas, si bien dire. L’ignominie du mensonge d’État de la part de l’envahisseur russe a dépassé toute mesure, comme si le droit des victimes à vivre était nié une deuxième fois. Selon les autorités russes en effet, les assassinats commis ne sont rien d’autre qu’une « provocation du régime de Kiev », une mise en scène macabre qu’il aurait fabriquée de toutes pièces.
Ici s’effectue le passage du mensonge à la propagande, qui est elle aussi une forme de mensonge, mais sur une bien plus grande échelle. Le mensonge, dans le cas présent, a pour but de se disculper en accusant faussement l’adversaire de crimes qu’on a soi-même commis. La propagande poursuit un but analogue, mais bien plus large : substituer à une vision du monde fondée sur des constats une autre vision totalement fantasmée, mais cohérente, un semblant de réalité qui se substitue au réel et lui dénie toute pertinence. La propagande des autorités russes aura atteint son but si les citoyens de ce pays sont finalement convaincus non seulement que des Ukrainiens sont les véritables auteurs des crimes de masse commis à Boutcha, mais que les Ukrainiens pris collectivement sont des meurtriers, des barbares et des nazis.
Il est intéressant de se rappeler la dérive de sens qu’a connue le mot « propagande ». À l’origine il désigne une congrégation romaine, la Congrégation de la Propagande, créée à la fin du 17e siècle ad fidem propagandam, ce qui se traduit « pour propager la foi ». Cet organisme, aujourd’hui appelé « Congrégation pour l’évangélisation des peuples », avait donc pour but de soutenir les œuvres missionnaires dans le monde. Ce sont les régimes dictatoriaux du 20e siècle qui modifieront le sens du mot lorsque, tant du côté nazi que du côté communiste, ils transformeront l’information en bourrage de crâne. C’est ainsi que le régime hitlérien s’était doté d’un ministère de la propagande, sous l’autorité du tristement célèbre Joseph Goebbels.
Une caractéristique fondamentale de la propagande est de chercher à susciter la haine en proposant une caricature entièrement négative de ceux qu’elle combat. C’est pourquoi l’Évangile est l’exact contraire de la propagande : non seulement parce qu’il exige l’amour des ennemis, mais aussi parce qu’il révèle, derrière les apparences, la vérité de notre condition humaine. Si pécheurs et pervertis que nous soyons, nous sommes aimés d’un amour qui ne nous sera jamais refusé : « je t’aime d’un amour éternel, c’est pourquoi je te conserve ma miséricorde », déclare Dieu par la bouche de Jérémie (31, 3).
CHRONIQUE RCF 1er AVRIL 2022
VÉRITÉ ET MENSONGE
Au moment où Hitler prenait le pouvoir en Allemagne, fin janvier 1933, Fritz Gerlich, rédacteur en chef du journal catholique Der gerade Weg (« le droit chemin ») écrivait ceci : « Le peuple allemand aura honte un jour qu’un chancelier allemand ait pu prononcer à haute voix un programme de gouvernement qui fasse une telle violence objective à la vérité. »
Pour avoir parlé à propos des discours d’Hitler et des nazis de « violence objective faite à la vérité », Fritz Gerlich sera mis à mort le 30 juin 1934 après 15 mois passés au camp de Dachau. Sa veuve recevra en guise d’avis de décès une boîte en carton contenant ses lunettes maculées de sang.
« Dans notre pays, écrivait Soljenitsyne à propos de l’Union soviétique, le mensonge est devenu non seulement une catégorie morale, mais aussi un pilier de l’État. » Dans ce pays, le premier précepte du KGB était le suivant : « Tout agent a un cerveau pour surveiller sa langue et dissimuler sa pensée. » Un certain Vladimir Poutine, jadis agent du KGB, a bien retenu la leçon. Et comme il a au
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