Six ans après avoir démissionné de son poste de président du Collège biblique et séminaire de Columbia pour prendre soin de sa femme Muriel, atteinte de la maladie d'Alzheimer, cet homme a fait ce récit extraordinaire.
Il y a dix-sept ans, Muriel et moi commencions notre séjour dans la pénombre. Pour elle, il est minuit et parfois je me demande quand l'aube percera. La maladie d'Alzheimer n'est pas censée frapper si tôt ni tourmenter si longtemps.
Pourtant, dans son monde silencieux, Muriel semble tellement satisfaite et elle est si adorable ! Sa douce présence me manquerait si Jésus la reprenait auprès de lui.
Oui. C'est vrai, à certains moments, bien que très rarement, je deviens irrité. Une fois, cependant, j'ai perdu la maîtrise de moi-même. À ce moment-là, Muriel pouvait encore se tenir debout et marcher. Nous n'avions pas encore eu recours aux couches et il lui arrivait parfois d'avoir quelques « accidents »
Ce jour-là, j'étais à genoux pour nettoyer les dégâts, et Muriel se tenait debout, confuse, près des toilettes. La tâche aurait été plus facile si elle n'avait pas tant insisté pour m'aider. De plus en plus frustré, je l'ai frappée brusquement sur un mollet pour la forcer à se tenir immobile. Geste vraiment inutile ! Et qui l'a surprise ! Et moi aussi ! Marié depuis quarante-quatre ans, je n'avais jamais cédé à la colère ou la réprimande. Je n'y avais même jamais pensé ! Et voilà qu'au moment où elle avait le plus grand besoin de moi...
En sanglots, je l'ai suppliée de me pardonner. Bien sûr, elle ne comprenait pas les mots, pas plus qu'elle ne pouvait les prononcer. Aussi ai-je choisi de m'adresser au Seigneur pour lui dire combien je regrettais mon geste. Pendant des jours, j'ai porté ce fardeau.
Récemment, Cindi, une jeune fille de l'église, m'a demandé :
— Es-tu fatigué ?
— Tous les soirs. Voilà pourquoi je vais au lit.
— Je veux dire fatigué de..., a-t-elle poursuivi en regardant Muriel, assise silencieuse dans son fauteuil roulant, les yeux absents.
— Non, je ne me fatigue pas. J'aime prendre soin d'elle. Elle est mon trésor. On dit que l'amour s'envole si la relation n'est pas mutuelle, si elle n'est pas physique, si l'autre personne ne communique pas, ou si une seule des deux parties portent sa charge. Lorsque j'entends la litanie des ingrédients essentiels au succès d'un mariage et que je regarde à côté de moi, ma femme bien-aimée, alors je comprends combien l'amour est mystérieux. Les gens autour de moi comprennent difficilement que, pour moi, aimer Muriel n'est pas difficile. Ils se demandent ce que je ressens par rapport à mes anciennes activités, comme mon travail, par exemple. « La présidence vous manque-t-elle ? », m'a demandé un jour un étudiant. Je lui ai expliqué que je n'y avais jamais pensé, mais qu'en y réfléchissant sérieusement, non. Aussi exaltant que mon travail ait pu être, j'appréciais maintenant de faire la cuisine et m'occuper de l'entretien de la maison. Non. J'avais complètement oublié le passé. Mais ce soir-là, j'ai réfléchi à la question et me suis adressé à Dieu :
« Père, j'aime cette mission ; je n'ai aucun regret. Mais si un entraîneur garde un joueur sur le banc, c'est qu'il n'a nullement l'intention de faire appel à ses services. Bien entendu, tu n'es pas obligé de me répondre, mais j'aimerais quand même savoir pourquoi tu m'as retiré de l'action ? »
J'ai très mal dormi cette nuit-là et, à mon réveil, cette épineuse question était toujours devant moi. Je suis sorti avec Muriel pour notre promenade matinale autour du quartier. Nous nous tenions par la main. J'ai entendu des pas derrière moi et, j'ai reconnu la silhouette familière d'une épave du quartier. Il nous a dépassés en titubant, il s'est retourné et nous a observés d'un regard inquisiteur : « C'est bien. J'aime ça. C'est vraiment bien. J'aime ça.» Puis il a poursuivi son chemin en marmottant :
« C'est bien, j'aime ça. »...