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Description

Un soir qu’un bateau à vapeur remontait le fleuve Potomac, sur la côte Est des États-Unis et que les passagers se trouvaient confortablement installés dans les fauteuils du bord, une dame s’adressa à Ira Sankey, l’évangéliste, et le pria de bien vouloir chanter quelque chose.
— Chanter ? répondit-il. Volontiers, mais… je ne chante que des cantiques !
— Qu’importe, chantez-nous donc un cantique, répondit la voyageuse. C’est une soirée qui nous invite à en entendre un, n’est-ce pas, Mesdames et Messieurs ?
Comme tout le monde acquiesçait, Ira Sankey se découvrit, et sa voix se mit à résonner pure, saisissante :
— Jésus, ami de mon âme, je me réfugie en toi…
Le silence le plus profond s’était établi autour de lui. Soudain, accourant de l’autre bout du bateau, un homme l’interrompit :
— Avez-vous servi dans l’armée du Nord ? Lui demanda-t-il.
—Oui, répondit l’évangéliste.
—Dans le régiment…
—Oui, fit encore Sankey, mais pourquoi me demandez-vous cela ?
—Attendez ! N’étiez-vous pas aux avant-postes, la nuit de la pleine lune en mai 1862 ? Cherchez à vous en souvenir…
—Oui, je m’en souviens parfaitement.
—Moi aussi ! S’écria l’homme, car ce fut la nuit de ma vie… et de la vôtre ! Monsieur, écoutez-moi : comme vous, j’ai servi, non pas avec vous, mais avec les Sudistes. Cette nuit-là, j’étais aux avant-postes quand, à la lueur de la lune, j’aperçus à quelque distance un homme debout, un ennemi. Ah ! Jeune homme, pensai-je, toi tu ne m’échapperas pas, et je le couchai en joue. Il était en pleine lumière, la tête baissée, et ne pouvait pas me voir, j’étais agenouillé dans l’ombre. J’avais le doigt sur la détente, lorsque tout à coup il leva la tête et se mit à chanter. Comme tout le monde, j’ai une faiblesse. Monsieur, j’aime la musique, et comme cet ennemi avait une fort belle voix, je me dis : « Laissons-le vivre encore un peu ! » Puis il se mit à chanter plus fort et j’entendis distinctement les paroles :
« Si vous saviez la paix douce et profonde
Que le Sauveur en mon âme apportât !
Pour cette paix, que peut donner le monde ?
Elle jaillit pour vous de Golgotha.
Mon Sauveur vous aime :
Ah ! Cherchez en lui
Votre ami suprême
Votre seul appui ! »
Je fus bouleversé, c’était le cantique préféré de ma mère, et pour moi, ce fut comme si elle était debout à côté de moi, m’empêchant de tirer sur cet ennemi.
Monsieur, ce soir, je viens de reconnaître votre voix, et de revoir toute la scène et ma pauvre maman. Les assistants demeuraient très émus, Sankey encore plus qu’eux tous. Incapable de prononcer une parole, il s’avança et ils s’embrassèrent.