Listen

Description

On se souvient de la vague de froid sibérien qui déferla sur la vallée du Rhône dans les premières semaines de janvier 1940 ; on ne reconnaissait plus l’Ardèche, tant la température était inaccoutumée ! Bientôt cependant le blizzard et la neige firent place à une lourde et tiède humidité : le sec Vivarais ruisselait maintenant de pluie et collait de boue ; le brouillard d’Angleterre nous ensevelissait vivants. J’eus à sortir un soir, à grand péril, tant le brouillard opaque rendait la circulation dangereuse pour les automobilistes. Il fallait longer le Rhône ; traverser un bourg et pénétrer dans le parc de l’hôpital municipal par une allée carrossable, laquelle était surélevée par rapport aux pelouses marécageuses.
Je manquai le virage, glissai sur le talus herbeux et m’embourbai. Que faire ? Le réservoir d’essence avait pris une telle inclinaison que le carburant n’alimentait plus le moteur. J’essayai de pousser la voiture : impossible ! J’allai chercher au bourg un bidon d’essence : le moteur tournait maintenant, mais en vain ; car les roues patinaient et la voiture s’embourbait de plus en plus. Il me fallut alors chercher le garagiste lui-même qui, malgré le brouillard et la nuit, consentit à venir dépanner la voiture avec chaîne, corde et auto. Ce fut peine perdue ! Après une heure de manœuvres inutiles, l’homme plia sa corde et alla se coucher. Quant à moi, j’en fus à me demander ce qu’il convenait de faire ! Faire quelque chose ? Mais il n’y avait plus rien à faire ! On dit que la nuit porte conseil. Soit ! Je décidai de rentrer chez moi par mes propres moyens. La voiture fut laissée là et, bientôt, je m’abandonnai au sommeil. On verrait bien demain !
À sept heures, le lendemain matin, coup de téléphone ! C’était l’hôpital municipal :
—Allô, allô ! Monsieur le pasteur ? — Oui.
— Votre voiture est dépannée.
— Mais qui a fait cela ?
—Au petit jour, le camion de la voirie est allé la chercher.
Tout heureux, je partis pour prendre livraison de mon bien et récompenser l’auteur du dépannage. Comme je sortais mon portefeuille :
—Non, dit le chauffeur, laissez cela.
— Mais, combien vous dois-je ?
— Rien du tout, c’est gratuit !
Parabole ! Vivant loin de Dieu, nous connaissons nous aussi la congélation sibérienne de notre vie profonde qui, bientôt, se dissout dans le brouillard le plus terne, la tristesse la plus morne et la boue du péché. Tous nos feux s’éteignent : toutes nos lumières ne suffisent plus à éviter l’accident. Alors, ça y est : nous voilà embourbés dans une situation impossible, totalement immobilisés dans la nuit ! Que faire ? D’abord, nous mettons tout en œuvre pour nous sortir de là selon nos propres forces : nous poussons au maximum toutes les ressources du moteur de notre volonté.
Souvent aussi, nous faisons appel aux possibilités (également humaines) d’autrui. Mais hélas, nous faisons l’amère expérience que nous n’avons pas à lutter seulement « contre la chair et le sang », comme dit l’apôtre Paul, mais bien contre des puissances surhumaines qui agissent obscurément en nous et nous enchaînent. Que faire alors ?....
Bonne écoute !