(English translation above)
La béquille aiguisée
Depuis quelques autans, j’emprunte à la Camarde
Sa grande faux d’acier, luisante, inoxydable,
Pour m’aider à marcher, en guise de béquille.
Les passants, prudemment, dont les yeux s’écarquillent,
S’écartent du chemin pour ne pas se blesser.
Je suis si maladroit que, parfois, je m’entaille
La cheville ou m’estafilade le mollet.
Sous cape, elle s’en rit, l’experte samouraï !
Mais je la laisse faire. Je suis un débutant
Qui doit encore apprendre à nourrir ses faux pas
D’autant de faux espoirs que d’essais balbutiants.
Alors, je sers les dents en comptant mes abats.
Quelquefois, essoufflé par tant de pas de deux,
Je m’allonge un instant pour compter les étoiles.
Dans le noir firmament, chaque âme s’y constelle
Comme un ange faisant pour nous briller ses ailes.
Reprenant aussitôt sa lame sépulcrale,
Elle fauche au passage avec un rire hideux
Ses derniers invités qu’elle veut honorer :
Des promeneurs niçois, coupables de bonheur,
Des clients attablés, quelques dessinateurs,
Des vieillards, des enfants et quelques nourrissons
Qui n’ont pas eu le temps d’arriver au téton,
Insensibles aux cris de leur mère effondrée.
Du fond de ma torpeur, je vois naïvement
Qu’à chaque vie ôtée, une étoile s’éteint.
Moins d’étoiles à compter au réveil du matin,
M’aide à y voir plus clair dans le jour renaissant.
Moi qui ai toujours eu du mal à bien compter,
Je la remercie de sa triste charité.
Sous un air pathétique, elle cache un os d’or.
Quand on voit son talent pour faire ses moissons,
Ça vaut une ovation. C’est presque du Fauchon !
Je me garderai donc de cracher sur mon sort.
J’évite, pas tel un autre qui a cru s’y fier,
D’être saint sur les planches et les clous de soirée.
Sournoise, elle me rend le tranchant de sa faux
Tout décoré du sang de sa légion d’horreurs.
Et je cogne le sol, piètre carillonneur,
Pour trouver l’équilibre au bout de ce ciseau.
J’ai l’air d’un laboureur sentant sa mort prochaine
Dont le soc surferait sur l’asphalte railleuse.
Tant que je sers bien fort la poignée dans mes doigts
Je peux toujours penser que je touche du bois.
Mais je sais que la fin arrivera, soudaine,
À l’ultime faux pas d’une danse miteuse.
(C’est pourquoi, cauteleux, j’évite de danser
Je préserve mes pieds, mais pas les pieds de nez).
Mais foin du vieil usage, au grand dam de sa Dame !
Je retourne l’objet : sous l’aisselle, la lame.
Je me taille la côte, oui, mais ma bouche rit.
Et jamais je n’ai eu l’air aussi ahuri.
On dirait maintenant, un ange futuriste
N’ayant que, pour toute aile, un reste de francisque.
Un ange à l’air d’enfer, sauvé d’une bataille
En son corps défendant une santé perdue.
On peut philosopher pour être un peu moins cru :
Les ennuis de santé ne sont que de passage,
Tant qu’on peut les compter, on est au bon étage !
Les regrets éternels deviennent inutiles
Quand quelques vers poètes à nos corps s’assimilent.
Myckaël Marcovic, le 25 décembre 2016.
The sharpened crutch
For some years now, I have been borrowing from the Camarde
His big steel scythe, shiny, stainless,
To help me walk, as a crutch.
The passers-by, cautiously, whose eyes widen,
Move out of the way so as not to hurt themselves.
I am so clumsy that sometimes I cut my ankle
My ankle or cut my calf.
Under the cape, she laughs about it, the expert samurai!
But I let her do it. I am a beginner
Who must still learn to nourish his false steps
Of as many false hopes as of stammering attempts.
Then, I grit my teeth while counting my offal.
Sometimes, out of breath from so many steps,
I lie down for a moment to count the stars.
In the black firmament, each soul is constellated
Like an angel making its wings shine for us.
Immediately resuming its sepulchral blade,
She mows down with a hideous laugh
...