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"Il est parmi les non-appartenants certains qui, n'ayant pas de noms ou qui en ont autant qu'ils ont de masques sans qu'aucun ne soit leur, sont tenus à l'effroyable péril de ne pouvoir être nés ailleurs que dans l'imagination des maîtres du langage qui les fait mourir."
Pierre Chopinaud, Cavalier d'épée, P.O.L

30 juin 2022, dans la plus belle librairie de Paris consacrée à la littérature, EXC passage molière, nous avions proposé à Pierre Chopinaud d'y lire quelques extraits d'Enfance de Perdition et de Cavalier d’Épée, deux livres publiés chez POL. De cette lecture, s'en est suivi un dialogue avec lui.

La langue, son pouvoir de donner naissance à des mondes, la langue par quoi l'arbre, la feuille, la pierre me répondent, la langue est toujours aussi l'objet d'une guerre pour que des mondes disparaissent, pour qu'un peuple vaincus n'ait d'arbres, de feuilles et de pierres qui le reconnaissent.
Et quand l'arbre, la feuille, la pierre, deviennent soit une ressource, soit un commun, soit une nature et non plus un être qui me répond et qui me reconnaît, c'est la langue qui disparait au profit, soit d'une économie, soit d'une politique, soit d'une science.

Que savoir parler la langue des maîtres et locataires de la maison hégémonique soit la condition pour obtenir le droit de séjour, cela n'est rien d'autre qu'une langue réduite au schibboleth. Une langue qui décide de la vie et de la mort, qui trahit ou laisse libre celui qui la parle. Maîtriser son usage est la condition d'une survie. Rien d'autre. Mais celui qui enseigne cette langue n'est qu'un maître instructeur de gardes frontières tant qu'il ne se relie pas à la langue morte-interdite en lui, celle d'avant qu'il ne devienne sujet d'une République, d'un État, d'une Nation. Dans la langue morte-interdite se tient son exil et l'espace d'une véritable communauté politique des exilés.

Né en France c'est-à-dire, dans la maison hégémonique des maître du langage, et nommé Pierre Chopinaud, le monde qu'il porte en héritage, porte un ordre politique duquel il ne peut s'innocenter. Ainsi Pierre Chopinaud n'écrit pas et ne vit pas sans conscience du nom dont il hérite. Ces deux livres Enfants de perditions et cavalier d'Epée, constituent le récit par lequel celui qui naissant au monde, nommé, élevé dans une langue - le français - encore objet d'une histoire et de son nom, cherche à devenir sujet de sa propre histoire.

entretien : Emmanuel Moreira.