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Bonjour et bienvenue dans Comment C'est Arrivé Là ? Aujourd'hui j'ai envie de vous raconter l'histoire de ces choses bien pratique, mais qu'on cherche tout le temps alors qu'on les a sur soi dans 90% des cas : non je ne parle pas de vos neurones, je parle des lunettes.

Alors, si depuis l'Antiquité, on sait utiliser du verre poli pour faire converger de la chaleur en un point précis afin d'allumer du feu. La légende des boucliers d’Archimède lors du siège de Syracuse (en 213 avant JC) en est un parfait exemple. Il aurait conçu pour les murailles de la ville une série de miroirs géants, qui une fois orientés selon un angle précis, faisait converger les rayons du soleil vers les voiles des navires du général romain Marcellus et les auraient enflammées. La ville sera cependant prise par les Romains, et Archimède tué par un soldat qui ne l'aurait pas reconnu. Je n'ose imaginer la remontrance. Récupérer les armes de l'ennemi c'est classique. Lui piquer ses ingénieurs militaires, c'est plus stratégique.

On va faire un bond dans le temps jusqu'au Moyen-Age. Les Copistes utilisaient des "pierres à lire", des cristaux appelés béricles afin de grossir la ligne d'écriture et de soulager leur vue.

 Au XIIIeme siècle, les archéologues attestent des premières traces d'instruments d'aides à la lecture. Il s'agit de deux lentilles convexes, rondes entourées de cuir, de bois ou de corne et reliées par un clou. Ce qui leur vaudra leur surnom de "clouantes". Cet objet devient rapidement un élément du quotidien des copistes et enlumineurs, principalement en Italie. De béricle, le langage déformera le mot qui deviendra bésicle.

Le port des bésicles, qu'on les tienne à la main ou qu'on les porte en pince-nez deviennent un outil de travail emblématique des copistes et de tous les métiers liés à la lecture. Petit à petit, au fil des années, elles se démocratisent et migrent vers l'université où maîtres et étudiants s'en servent pour lire et commenter les textes. Elles commencent alors à symboliser la connaissance. Les bibliothèques passent de simple lieu de stockage de livre, à lieu de partage et de transmission de savoir, et les lunettes une marque de savoir, mais aussi de statut social.

Si, au Moyen-Age "illettré" signifie "qui ne parle pas latin", il n'est pas à cette époque synonyme d'analphabète. Lire en latin est réservé à une élite religieuse, savante ou sociale. Le port des lunettes commence à représenter une élite religieuse, savante ou sociale. Si je porte des lunettes, c'est que je sais mieux que les autres. Les rois et autres princes de l'époque se font alors peindre en train de lire, et en étudiant la scène, on peut souvent repérer une paire de bésicles à portée de main. 

Jean Meschinot, poète favori d'Anne de Bretagne écrit dans "Les lunettes des princes" "les quatre grandes vertus pour devenir un bon prince, quatre verres de lunettes, qu'il convient de mettre devant ses yeux pour changer de vision et ainsi mieux conduire le monde : de la prudence, de la justice, de la force, et de la tempérance". On peut envoyer cet extrait aux chaînes dites d'information ? Il parait qu'il y a une campagne politique en cours... 

Alors comme nos ancêtres n'étaient pas si fous, les grands de ce monde, après leur moment en mode "influenceur d'avant instagram" demandent à ce que les lunettes corrigent la myopie. C'est pas le tout de se donner un genre, autant qu'il y ait du style et de l'utile. Le design avant l'heure en somme. Parce qu'un prince lit autant qu'il va à la chasse ou qu'il fait la guerre, et que bien voir de loin, c'est plus pratique pour viser juste. Il parait. On a donc l'apparition des verres concaves au cours du XVeme siècle.

Et comme tout ce qui est porté par les plus riches devient un marqueur de chic, l'humain fait ce qu'il sait faire de mieux : il copie. Les notaires, les marchants, et même les femmes. Parce que, oui, spoiler alerte, les femmes travaillent au Moyen-Age. Des historiens posent l'hyppothèse qu'un grand nombre de manuscrits non signés soient des écrits de femmes, dont la signature aurait été grattée à la Renaissance, pour leur apprendre à "rester à leur place" *tousse*

Un peu plus tard, l'image de la lunette va se déprécier quelque peu, et passer à la caricature comme un objet déformant, servant les fourbes ou les escrocs. Évidemment, elles sont fustigées pour leur usage décoratif, pointant du doigt la futilité et la vantardise de ceux qui les arborent pour se donner des grands airs.

C'est de là que s'inspireront certaines représentations antisémites su XIXeme siècle, reprises par le nazisme.

On verra aussi apparaître à cette époque les bésicles à pont arrondi, en ivoire, bois, os, ou encore écaille de tortue.

Le XVIIIeme siècle verra l'apparition de lanières pour les oreilles qui se transformeront petit à petit en branches de métal tordu pour devenir proches de celles que nous connaissons aujourd'hui. Les fantaisies se déclinent en monocle, pour un seul oeil, ou en face-à main c'est à dire avec une branche verticale qui permettait de les tenir d'une main le temps de la lecture. On retrouve ce modèle aujourd'hui sur les jumelles d'opéra.
Comme pour beaucoup de produits, là où elles étaient réalisées par des artisans, orfèvres ou forgerons et personnalisées, elles seront au fil du XIXeme fabriquées par l'industrie et standardisées.

Je vous parlerai lentilles de contact et lunettes de soleil un autre jour. Je vous souhaite une belle journée, à l'écoute du son unique.