Viré de son label après un premier album qui n'a pas trouvé beaucoup d'acquéreurs, Bashung, douze ans de carrière, déjà, a peu de chances de trouver une autre firme de disques. Il est grillé à cause de son mode de vie, insaisissable, imprévisible. On ne sait pas où il sera demain, dans quel état il arrivera pour l’interview, ni quand il rentrera s’il fait une escapade à pétaouchnok.
Ainsi en ce mois de janvier 1978 où il fait la fête durant trois jours au Midem à Cannes, ah oui, il y est invité à cause du succès improbable du générique français de la série télé américaine, Racines, qu’il interprète. Mais depuis qu’il est parti avec Jean Fauque, plus de nouvelles, où est-il ? En fait, la vieille Simca 1500 de son compère a rendu l’âme sur le retour à hauteur d’Auxerre. Alain a trouvé refuge dans un routier puis chez sa marraine qui n’habite pas loin, il a quand même un peu de bol dans ses malheurs, le Bashung. Et en parlant de bol, il trouve un allié inespéré chez un éditeur qui croit en lui et propose de lui verser un petit salaire dans l’attente de trouver un contrat. Un de ses contacts sérieux lui vaut de signer avec un directeur artistique de chez Philips qui souhaite sortir de la variété. Bashung, oui j’y crois, mais t’as vu ce que son premier album a vendu ? Rien du tout. Écoute, on va le faire mais budget minimum. Dans des conditions épouvantables, Bashung et sa bande livrent un 33 Tours de première classe, probablement son meilleur, celui qui lui ressemble le plus en tout cas. Il s’intitule Roulette russe, tout le monde y croit chez Philips et tout le monde s’y met, même la pochette signée Jean-Baptiste Mondino est magnifique. Et comme il lui a été reproché de n’avoir pas joué pour soutenir son premier album, Bashung accepte tous les contrats, même des premières parties de Dave, des fêtes d’entreprise où il n’y a même pas d‘électricité et qu’il faut tirer des fils, il remplace des artistes au pied levé car ils se sont désistés dans la journée, joue en matinée le dimanche, toutes les galères, il les fait.
Mais malgré ça, la promo ne se passe pas bien, les grandes émissions nocturnes des radios périphériques le suivent mais pas d’airplay en journée : les textes de Bashung sont trop sombres pour le grand public, c’est formidable mais à se flinguer, on ne peut passer ça l’après-midi ! Et au bout de quelques mois, le triste constat est là : on n’est pas encore arrivé à dix mille albums. C’est fini pour Bashung. D’autant plus qu’en haut lieu chez Philips, on a décidé de se débarrasser des artistes non rentables. Bashung étant le dernier arrivé, il va être le premier à partir.