Mai 1971, le Festival de Cannes s’apprête à vivre ce qui est, rétrospectivement, un événement de taille, et pourtant, sur le coup, on dirait que tout le monde passe à côté. Oui si vous aviez cette année-là arpenté la Croisette, où la foule ne se pressait pas encore en masse comme aujourd’hui, vous auriez croisé John Lennon.
Nous sommes juste un an après l’annonce officielle de la fin des Beatles, l’histoire est encore du présent, tout le monde pense qu’ils vont se remettre ensemble et John Lennon est là, tranquille, sans se faire harceler par des fans des Beatles qui soit, ne sont pas au courant de sa présence, soit sont passés à autre chose. Il faut dire que depuis quelques années, Lennon a tout fait pour casser le mythe de l’idole : des albums solos expérimentaux pour ne pas dire ridicules, des appels à la fin de la guerre rendus inaudibles, eux aussi, par une faune dont il s’entoure ou qui profite de lui, et bien sûr ses errements dans des événements artistiques d’avant-garde comme les deux films qu’il a réalisés avec sa femme Yoko et qui vont être projetés au cours du festival.
N’empêche, quel moment privilégié, loin de la folie des années écoulées et quelle occasion que ce Festival de Cannes où on le voit répondre à des interviews de journalistes avec le même humour et le même décalage qu’à l’époque de la Beatlemania. Il n’a en fait pas changé. Il a en vérité, toujours été le même, malgré la pression, malgré la fureur hystérique qui régnait autour de lui. Ça lui faisait plaisir, ce succès, mais jamais cela ne lui est pas monté à la tête. Alors on le voit ce soir, à table avec des amis dont Louis Malle et Jeanne Moreau, John est allé assister avec eux à la projection de leur film. On fait peu de photos à l’époque, qui a un appareil sur lui, mais on est à Cannes et les photographes accrédités sont déjà nombreux, à la pêche aux clichés à vendre à des rédactions.
Mais John Lennon avec ses lunettes rondes fumées et sa veste en jeans ne vaut plus les colonnes à la Une désormais réservées aux Rolling Stones, Led Zeppelin et les Doors. C’est à peine si on entendra parler du public de la salle qui a hué la projection de son film, il faut dire qu’on y voit une mouche se promener durant 25 minutes sur le corps nu d’une actrice. Ah il n’y avait pas que ça, ils ont aussi projeté un autre de ses films nommé Apotheosis, une grosse production, là, puisqu’il s’agit d’un ballon dont il a filmé avec Yoko l’ascension jusqu’aux nuages durant 17 minutes.
Comme quoi, si vous pensiez qu’on a tout vu à Cannes, c’était déjà plié en 1971 dont on ne doit retenir que la présence de l’ex-Beatle, charmant, tranquille et plein d’humour. Mais avec les idées bien en place quand on lui parle musique. Tenez, comme à ce journaliste de la télévision norvégienne, à qui il explique qu’il n’est pas heureux quand on le réduit aux Beatles. La musique des Beatles, c’est l'œuvre d’un groupe ; lui, en tant qu’artiste, ce qu’il veut à présent, c’est savoir ce qu’on pense de la musique qu’il fait seul, aujourd’hui, car c’est de lui qu’il parle, ce qu’il ressent. Et cette musique en 1971, c’est par exemple cette chanson …