Je vais vous parler d’un temps que beaucoup n’ont pas connu, celui des émissions des Variétés. Oui, ces émissions où les gens venaient pour chanter à la télé et rien d’autre. Et vous allez encore moins me croire mais il y en avait presque tous les soirs, des émissions avec des variétoches. En fait, il y avait des chanteurs quasiment à toute heure. C’est ainsi que, regardant distraitement une émission de Guy Lux, LE grand producteur animateur de télé, France Gall et Michel Berger sont soudain cloués sur le plancher de leur domicile quand ils voient un gars aux longs cheveux se planter derrière le micro et envoyer une voix puissante , aiguë mais large. C’est du jamais entendu ! Voilà le gars qu’il nous faut pour Starmania !
Un an plus tard, en octobre 1978, si Daniel Balavoine interprète quatre titres sur l’album dont deux vont devenir légendaires, ce n’est pas ça qui va rend enfin célèbre. En effet, quelques semaines plus tôt, malgré de sérieux doutes, Balavoine a réussi à sortir un troisième chez Barclay. Quand je dis sérieux doute, c’est un euphémisme, Barclay en personne lui a dit lors d’un déjeuner : ce sera le dernier, j’arrête les frais. Balavoine proteste mais Barclay conclut par cette phrase : si t’en vend plus de 100.000, j’te taille une pipe. Un demi-million d’albums vendus plus tard, Balavoine recroisant Barclay dans les coulisses de l’Olympia qu’il enchaîne après un Palais des Sports triomphal avec Starmania, il ne manquera pas de lui dire : Alors Eddie, et cette petite pipe ? Une autre époque !
Mais que s’est-il passé ? Et bien, un miracle. Car en effet, le single que Barclay présente aux radios en juin 1978 n’est pas un succès garanti … C’est joli mais c’est pas un tube ! Et la Face B ? se dit la programmatrice d’une grande radio périphérique. Et là, la foudre lui tombe dessus : la musique, les paroles, l’interprète, ça, c’est pas banal. Ça commence comme une chanson légère mais ce n’est pas du tout ça. Elle fait face aux réticences et l’incrédulité de beaucoup d’animateurs vedettes qui trouvent que la voix singulière de Balavoine est un problème. Elle tient bon et le disque passe tous les jours. Balavoine l’a écrite comme ça, en une heure, en pensant à Barclay, justement. Car en plus de la tirade de la pipe, Daniel a appris que Barclay ne croyait pas en lui parce qu’il n’était pas beau et qu’il avait une voix de pédé. Alors il avait tiré en une fois ce texte sur ce monde du showbizness. Curieux que ce titre soit celui qui fasse de Balavoine la nouvelle vedette de la chanson comme Je me voyais déjà pour Aznavour, près de vingt ans plus tôt. On ne parle plus que Balavoine, de sa voix bizarre, de ses cris et de sa grande gueule qu’on commence à entendre. Ce n’est pas un chanteur de variétés comme les autres, c’est certain, il a de très nombreux jeunes fans mais à la différence des Britanniques, il refuse son statut de héros. Il le chante même, pour ceux qui n’auraient pas compris. A moins qu’il n’incarne un personnage…