Les copains, il vient de se passer un truc incroyable. Robert Smith et ses deux copains d’école, Lol et Michael, déambulent sur un trottoir de Londres sans pouvoir prononcer la moindre parole. Cela n’a jamais été la spécialité de Robert mais là, après le rendez-vous qu’ils viennent d’avoir avec ce gars d’une maison de disques dans un pub, il y a de quoi raconter : il leur a proposé d’enregistrer un album et de faire une tournée. Carrément. A 19 ans, c’est tout ce dont ils rêvaient : faire du rock et quitter leur ville paumée de Crawley. Pour Robert, c’est la fin de l’angoisse depuis qu’il a posté leur cassette à l’adresse de plusieurs labels. S’en était suivi de longues semaines de silence radio et de questions à sa mère : « Alors ? » « Non, rien ». Jusqu’au jour où : « Robert, on te demande au téléphone ». Et puis ce gars, Chris, qui travaille chez Polydor et qui lui dit avoir aimé leurs trois titres, surtout la petite chanson pop Boys don’t cry.
Remontés dans le train, Robert se décide enfin à parler Il va falloir que vous laissiez tomber votre boulot, si vous voulez que The Cure vive. Ca va bouger. Bon, c’est une évidence : leur job est si petit que cela ne leur posera pas de problème. Mais qui voilà. Mais c’est le monstre ! Les trois musiciens se retournent pour découvrir l’ancien tortionnaire de leur école primaire, Dennis, qui après la fameuse bagarre avait été viré de l’école et avait disparu des radars. Le voilà douze ans plus tard devenu un skinhead et, bien évidemment, il est à la tête d’une bande.
On a toujours un œuf à peler nous deux. Et ben dis-donc, t’as toujours l’air d’avoir aussi peur de moi, on dirait, raille-t-il.
Fous-nous la paix, casse-toi, répond Robert.
Ouais, va te faire foutre avec tes nazillons de copains, renchérit Lol.
Dennis crache sur Robert en guise de réponse et de provocation. La bagarre s’engage alors que les portes du train s’ouvrent en gare de Crawley. Les trois gars de Cure sortent en trombe et détalent du plus vite qu’ils peuvent, poursuivis par la bande armée de je ne sais quoi, allez savoir avec les skinheads. Au bout de quelques minutes d’une course de fond improvisée, ils reprennent leur souffle les bronches en feu. Robert et ses potes ont semé leurs assaillants. Douze ans sans croiser ce sinistre individu et ils tombent dessus le jour où ils réalisent leur rêve. Décidément, il faut quitter cette ville pourrie. Leur vie est ailleurs.
Demain, j’appelle Chris et je lui demande de nous verser un salaire. S’il est OK, on marche avec lui.
Alors, malgré le fait que ce fameux Chris ait omis de leur dire qu’il quitte Polydor pour les produire seul avec ses économies, malgré un premier album plié en quelques jours sans budget avec une pochette et un son qui vont horrifier Robert et le mettre en colère, oui, ils ont trouvé la bonne personne, celle qui va les propulser d’emblée au sommet de ce nouveau mouvement musical qu’est la New Wave.